Roger Federer, un exemple de longévité

La longévité de Roger Federer au sommet du tennis mondial est peut-être l’une de ses plus belles réussites. Nous examinons ici ce que le Suisse ainsi que d’autres joueurs ont réussi à faire au-delà de 40 ans.

© Tennis Majors / Antoine Couvercelle

En juillet 2019, quand il est passé à une balle de match de la plus grand performance de sa carrière à Wimbledon (battre Nadal puis Djokovic en Grand Chelem), Roger Federer avait quasiment 38 ans. Le défi qu’il relevait face aux lois physiques de tennis de très haut niveau avait quelque chose de prodigieux.

Le reste de sa saison 2019 – notamment son Masters – et même le début de son année 2020 – une demi-finale à Melbourne – confortèrent cette impression que le temps n’avait pas de prise normale sur le vainqueur de vingt Grand Chelems entre 2003 et 2018. Federer était alors seul au sommet de cette course à l’éternité tennistique.

Mais le tableau a désormais pris des rides et du bide. Arrêté comme tout le monde par la pandémie et sa double opération du genou droit en 2020, Federer a commencé à se heurter aux limites propres à son âge en 2021, et a finalement décidé de prendre sa retraite en septembre 2022, à l’issue d’un dernier rendez-vous, la Laver Cup à Londres. 

Sa feuille de stats en 2021, sa dernière année de compétition, reste inouïe pour un joueur de son âge qui avait commencé sa rééducation en réapprenant à courir et à monter des escaliers. Federer a notamment gagné sept des huit matches de majeur qu’il a disputés à Roland-Garros puis à Wimbledon. Mais sa nette défaite en trois sets contre Hurkacz à Londres, son 6-0 encaissé au troisième, son manque de mobilité et ses forfaits pour raison physique (JO puis les Masters 1000 américains) renvoyaient l’idée d’un surplace et d’un plafond de compétences qu’il ne pouvait plus repousser.

40 ans, un âge auquel le haut niveau vous refuse

Idolâtré par des millions de personnes dans le monde, Federer reste un humain de chair et de sang, avec toutes les contingences liées à l’âge que certains lecteurs-joueurs parmi vous connaissez déjà – et les autres, vous y passerez aussi.

Quarante ans est un âge auquel le tennis de haute compétition n’est pas ouvert, surtout au niveau auquel Federer a contribué à le hisser avec Rafael Nadal et Novak Djokovic. Ce n’est pas Tennis Majors qui le décrète, ce sont les statistiques.

Celles que nous avons pu consulter grâce à notre partenariat avec le compte Twitter @JeuSetMaths sont, à ce sujet, éloquentes.

Karlovic et Connors, points de référence récents

A la question « que peut espérer un joueur de tennis de haut niveau à plus de quarante ans ? » les stats indiquent qu’il faut répondre avec deux grilles de lecture.

La première grille de lecture est celle du tennis moderne, tel qu’il est structuré depuis 1990 par l’ATP Tour. Elle enseigne que seulement deux joueurs ont gagné des matchs sur le Tour à quarante ans passés. Cette performance, Federer ne l’a pas réalisée lui-même car il avait 39 ans et 331 jours quand il a dominé Lorenzo Sonego à Wimbledon, sa dernière victoire en date.

Ces deux joueurs sont Ivo Karlovic et Jimmy Connors, autre légende du tennis.

La seconde grille de lecture est celle du tennis de l’ère Open en Grand Chelem. Si 71 matches des quatre plus grands tournois du monde sont bien revenus à des quarantenaires depuis 1968, seules quatre de ces victoires ont eu lieu après 1978, à une époque où la densité de l’élite mondiale n’avait rien à voir avec aujourd’hui. Là encore, Karlovic et Connors sont les deux point de référence.

Karlovic, 43 ans, une exception

Le Croate Ivo Karlovic, retraité fin 2021, a remporté neuf matchs sur l’ATP Tour à plus de 40 ans, dont trois en Grand Chelem. Le grand serveur de 43 ans avait franchi cette ‘barre’ depuis 139 jours quand il avait dominé Bernabe Zapata Miralles 6-7, 6-1, 6-4, en juillet 2021 au premier tour de Newport

La présence de Karlovic à ce niveau – il était 88e au moment de ses quarante ans – est due à son service de géant (2m11). A Newport, il avait notamment réalisé 24 aces en quinze jeux de service, remporté 87% des points derrière sa première balle, 56% derrière sa seconde et sauvé toutes ses balles de break (6).

Avec cette panoplie, il a atteint les huitièmes de finale du Masters 1000 d’Indian Wells en 2019 une fois entré dans la quarantaine.

Connors gagnait encore (un peu) à presque 43 ans

Le cas de Jimmy Connors nous rapproche un peu plus vaguement de celui de Roger Federer. Voici une légende du tennis, ancien numéro un mondial, vainqueur de huit Majeurs entre 1974 et 1983.

Le mythique gaucher américain possède deux points communs avec le Suisse : il est le seul à avoir gagné plus de cent titres pro (109 pour Connors, 103 pour Federer), et il a lui aussi atteint une demi-finale de Grand Chelem à un âge canonique. Connors avait 39 ans à peine sonnés au moment de sa percée historique à l’US Open 1991, contre 38 ans et 5 mois pour Federer à l’Open d’Australie 2020.

Une différence est cependant notable : Connors a remporté son dernier Majeur à 31 ans (US Open 1983) et c’est un goût forcené pour la compétition qui a précipité sa carrière au-delà des 35 ans, plus qu’une quête quelconque de record. Connors avait quasiment disparu du classement ATP en 1990 et il était 324e mondial quand, à trois mois de ce fameux US Open 1991, il avait dû abandonner sous le poids de ses 38 ans contre Michael Chang au troisième tour de Roland-Garros.

Connors a eu la force de gagner huit matchs chez les pros après son quatrième anniversaire, dont un en Grand Chelem, au premier tour de l’US Open 1992, en trois sets face à Jaime Oncins.

Il avait 42 ans et 296 jours au moment de sa dernière victoire en date sur le Tour, en huitième de finale à Halle en 1995 contre Martin Sinner. Si Federer avait voulu faire de même, il aurait dû jouer jusqu’en juillet 2024.

Le meilleur résultat sur le Tour réalisé par Connors quadra a été une demi-finale à San Francisco en 1993, à 41 ans et 241 jours. Federer aurait eu cet âge aux alentours de Wimbledon 2023.

Rosewell devant Federer

Une victoire en Grand Chelem après 40 ans aurait pu lui permettre de pulvériser le record du plus vieux vainqueur, détenu par l’Australien Ken Rosewall, vainqueur de l’Open d’Australie 1972 à 37 ans, un mois et 24 jours, soit six mois de plus que Federer, lui-même vainqueur de l’Open d’Australie 2018 à 36 ans, 5 mois et 7 jours.

Les registres de l’ère Open enseignent qu’on peut encore accéder aux demi-finales d’un Majeur après quarante ans. Le record du genre appartient encore à Rosewall, demi-finaliste de l’Open d’Australie 1977 à 42 ans et 68 jours. Roger Federer aurait eu besoin de réaliser cette performance à l’Open d’Australie 2024 pour la battre.

Rosewall a disputé deux demi-finales en qualité de quadra. L’autre joueur à avoir réussi pareille performance, une fois, est l’Américain Pancho Gonzalez à Roland-Garros 1968, quelques jours après son anniversaire.

Cinq joueurs ont remporté au moins un match en Grand Chelem à plus de 45 ans. Le record du genre appartient à l’Américain d’origine équatorienne Pancho Segura.

Né en 1921, Segura a passé un tour à l’US Open 1970, alors disputé sur le gazon de Forest Hills, à l’âge de 49 ans et 85 jours. S’il avait voulu se confronter à ce record, Federer aurait dû jouer jusqu’à l’Open d’Australie 2031.

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