Comment Benjamin Bonzi a transformé son jeu pour s’installer dans le top 100

Benjamin Bonzi a attendu 25 ans et sa collaboration avec Lionel Zimbler pour se révéler et s’installer dans le top 100 après avoir remporté six Challenger en 2021. Au deuxième tour de l’Open d’Australie pour la première fois de sa carrière, il a forcé sa nature pour proposer un style de jeu plus offensif qu’à ses débuts.

Bonzi Rennes 2021 (1) Benjamin Bonzi of France Finale during the Open de Rennes tournament on September 18, 2021 at Open Blot Rennes in Rennes, France – || 207751_0009 2021 2022 ATP Clay court dur FINAL FINALE open sport tennis tournoi

Un homme de 23 ans débarque à Marseille. Un brin paumé, mais très motivé. Il vient de déménager de Toulouse, où il avait ses habitudes depuis plusieurs années. On est en novembre 2019. Benjamin Bonzi, l’un des espoirs français de la génération 1996 (Halys, Tatlot) est 360e mondial, alors qu’il pointait au 187e rang deux ans plus tôt.

Il est en totale perte de confiance et sort d’une année moyenne en Futures : deux titres, deux finales et cent nouvelles places perdues au classement ATP.

Lorsque Lionel Zimbler accueille son futur protégé dans la cité phocéenne, Benjamin Bonzi semble prêt à remonter la pente. “Il avait une très très grosse motivation, raconte Zimbler, deux ans plus tard. Je savais qu’il était très attaché à Toulouse. Il est arrivé sans aucun repère… Il faut en avoir dans le caleçon. Il était vraiment prêt à écouter, à changer beaucoup de choses”. Bonzi est désormais entré dans le top 100 – il est 63e – et a brillamment franchi le premier tour de l’Open d’Australie lundi, après sa victoire en trois manches (6-3, 6-3, 6-3) contre Peter Gojowczyk (82e). Mercredi, il sera opposé à Karen Khachanov (30e) pour tenter de rallier son premier troisième tour en Grand Chelem.

Je décide très rapidement que s’il doit être top 100, il le sera avec un état d’esprit beaucoup plus offensif.

Lionel Zimbler, coach de Benjamin Bonzi

Retour en 2019. Le natif d’Anduze s’est enfoncé dans son jeu et s’obstinait à rester un contreur. “Il se contentait de taper des balles, ça s’arrêtait là, se souvient l’entraîneur de 51 ans. J’ai trouvé qu’il jouait au tennis pour ne pas perdre le point”.

Sur l’état d’esprit aussi, Bonzi n’y est pas. “Comme il n’avait plus confiance en lui, il avait installé un jeu qui n’était pas en rapport avec ses qualités, un jeu qui ne pouvait que favoriser le déclin et qui, pourtant, lui demandait beaucoup d’énergie. Quand je l’ai vu arriver, j’ai vu un joueur qui se réfugiait trois mètres derrière pour faire ce qu’il pouvait.”

Saulnier, Paire et Hoang, trois réussites de Zimbler

Lionel Zimbler a de l’expérience. Cet ancien gérant de brasserie, capitaine d’équipe en interclubs en National 3, a amené Cyril Saulnier du top 400 au 48e rang, Benoit Paire du top 600 au 18e rang et Antoine Hoang, du top 400 au top 100. Bonzi l’écoute, sans broncher. “Il valait mieux repartir de zéro, faire un reset.” Fini le jeu de contreur à plein temps. “J’ai une intuition. Et je décide très rapidement que s’il doit être top 100, il le sera avec un état d’esprit beaucoup plus offensif.”

Les classements ATP de Bonzi en fin d’année

  • 2014 : 1076
  • 2015 : 508
  • 2016 : 362
  • 2017 : 187
  • 2018 : 261
  • 2019 : 359
  • 2020 : 165
  • 2021 : 64

“Le persuader de tout changer, ça n’a pas été facile au départ”, avoue Zimbler, qui flaire le bon coup. “Mais on a eu des résultats assez rapidement”, approuve Bonzi. Sur les trois premiers mois de 2020, le joueur remporte deux Futures, atteint une finale en Challenger et retrouve le top 300.

A la reprise post-confinement du circuit, Bonzi sort des qualifs et franchit, comme en 2017, le premier tour de Roland-Garros. Retour dans le top 200.

Puis il explose en 2021: six titres en Challenger, dont quatre de suite, un bilan impressionnant de 50 victoires et 13 défaites sur le circuit secondaire, une entrée dans le top 100 et une troisième victoire en Grand Chelem.

“Je suis très content de ma saison, juge l’intéressé. J’avais pour objectif d’essayer de me rapprocher des 100 et de gagner un Challenger, j’ai un peu surpassé ça”. “Une saison très bonne avec des pics de très haut niveau”, estime Zimbler.

Deux ans après les grands changements, Benjamin Bonzi estime avoir progressé dans tous les aspects. “Sur mes intentions, sur l’intensité que j’arrive à maintenir beaucoup plus longtemps. Au service aussi, c’était l’un des travaux prioritaires. On a travaillé cette régularité pour garder un bon rythme sans forcer et ne pas s’épuiser.”

Zimbler ajoute à cela un travail technique en coup droit et en revers “pour avoir une meilleure qualité de balle”, ainsi que sur les appuis “pour pouvoir jouer vers l’avant et pas latéralement”.

Bonzi, homme affectif et sensible

Mais les deux sont d’accord : la gestion des émotions est le principal progrès du néo-Marseillais. “Ça me permet de ne pas connaitre de creux trop bas.” Un homme a un regard intéressant sur la trajectoire de Bonzi : Patrick Vergnes, conseiller technique régional (CTR) de la Ligue d’Occitanie de 2017 à 2021.

“C’est un garçon qui mérite ce qui lui arrive.” Il l’a coaché de mai 2017 à juin 2018. “Aujourd’hui chez lui, je sens une présence physique. Et sur le plan mental, il est équilibré, on le sent fort, il est très bien émotionnellement.”

Benjamin Bonzi, affectif et sensible, a trouvé en Lionel Zimbler le complément sans doute idéal pour mieux gérer ses émotions. “Il est attachant, loue le joueur de 25 ans. J’ai besoin d’affection.” Son coach confirme : “L’affectif est mon moteur.” Bonzi a pu, par le passé, être trahi par ses émotions. Après l’US Open 2017, il vit un hiver compliqué et une préparation contrariée. “Il était un peu blessé et avait quelques problèmes personnels”, se souvient Vergnes. C’est le début de sa vertigineuse descente. “Une période longue et difficile”, juge son ancien entraîneur, qui relate qu’une de ses faiblesses pouvait être son investissement. “C’était compliqué de rester longtemps sur un thème, sur un coup bien précis.”

Les plus belles victoires de Bonzi

  • Daniil Medvedev : 66e (Roland-Garros, juin 2017)
  • Roberto Carballes Baena : 76e (Adélaïde 2, janvier 2022)
  • Arthur Rinderknech : 77e (Rennes, septembre 2021)
  • Lucas Pouille : 79e (Montpellier, février 2021)
  • Dusan Lajovic : 79e (Bordeaux, mai 2017)

Aujourd’hui, il gère beaucoup mieux ses émotions et les extériorise. “Quand je l’entraînais, je lui reprochais : qu’il gagne ou qu’il perde, aucune émotion ne sortait”, se souvient Vergnes. Zimbler, crucial dans cette transformation, abonde. “Sur le terrain, il était nonchalant, un peu mou.”

Après sa défaite sèche au premier tour de Roland-Garros 2021 où il “s’était enfermé dans une bulle négative” (Zimbler), une longue discussion a eu lieu entre les deux hommes. “Il s’est métamorphosé ! Je lui ai demandé d’avoir des attitudes, une démarche entre les points, de bomber le torse, d’enflammer les choses…”

Benjamin Bonzi, durant le tournoi de Rennes, en septembre 2021.

Dès Wimbledon, la différence est nette. “Il avait décidé d’installer le combat. Il associait le combat à serrer le poing.” Son protégé approuve : “Je suis passé par plein d’états différents. Je me suis dit que si je n’arrivais pas à monter de 10 % au niveau mental, je ne m’en sortirais jamais (contre Trungelliti). Il fallait que j’accepte de rater pour réussir à gagner ce match.”

“Il a besoin de digérer cette très belle saison et de prendre conscience qu’il est vraiment à sa place sur le circuit principal”

Lionel Zimbler

Patrick Vergnes pointe un autre aspect de la personnalité de son ancien poulain : son manque de confiance en soi. “Quand il était 178e mondial (en juin 2017), il n’était pas à sa place dans son esprit. Il a mis plus de temps à trouver une stabilité émotionnelle.”

A cette période, Bonzi a tendance à continuer à disputer des Futures alors qu’il a le classement pour entrer dans les tableaux de Challenger. “Il se sentait un peu plus ‘sécur’ à ce moment-là sur les Futures. Ça le rassurait un peu. Il a besoin de se prouver des choses.”

La situation n’est pas forcément différente aujourd’hui, alors qu’il aborde sa première année sur le circuit principal. “Il a besoin de digérer cette très belle saison et prendre conscience qu’il est vraiment à sa place sur le circuit principal”, explique Zimbler.

Une alternance Challenger – circuit ATP

En 2021, le duo Bonzi-Zimbler, notamment épaulé par Martin Vaisse et Kévin Blandy, par ailleurs préparateur physique d’Hugo Gaston, fait le choix de privilégier des tableaux principaux de Challenger à des qualifications d’ATP 250, à l’inverse, par exemple d’Arthur Rinderknech.

“On ne l’a pas décidé, se justifie Zimbler. Le circuit est très compliqué. Après Wimbledon, il ne pouvait pas jouer des ATP 250. Encore faut-il rentrer dans les qualifs, encore faut-il ne pas être encore en course la semaine d’avant… Avant cette série de trois Challengers, on était inscrit dans ces tournois-là. Dès qu’on a pu s’inscrire plus haut, on ne s’est pas posé la question. Quand on arrive des Chall, c’est difficile, tu dépends du tirage au sort, il faut avoir l’humilité de se dire que ça peut être compliqué. Il faut un niveau confirmé, stable et assez élevé pour performer.”

En ce début de saison 2022, Bonzi, 65e mondial, continuera d’alterner ATP 250 et Challengers. “Pour gagner de l’expérience sur le circuit ATP et continuer à jouer pas mal de matches sur certains Challengers. Après, rien n’est figé, ça va dépendre de ses résultats , des tournois dans lesquels il va rentrer…”

Fatigue nerveuse et physique fin 2021

Le bateau Bonzi a tangué fin 2021. Son mental, lui, a vacillé. L’emballement médiatique après l’enchaînement Cassis – Saint-Tropez – Rennes a pu inquiéter Zimbler. “Ce n’était forcément plus la même personne : on vous dit bravo toute la journée, ce que vous avez fait c’est exceptionnel, vous aurez le record de victoires en Challenger. Inconsciemment, il y a les avantages, ça fait toujours très plaisir, c’est un aboutissement, mais le piège, c’est la perte d’humilité.”

Zimbler a trouvé la fin de sa saison de son poulain “difficile”. “Il y avait beaucoup plus d’attente autour de lui, il s’est mis une pression supplémentaire surtout sur les ATP qu’il a pu jouer. Et il y avait beaucoup de fatigue nerveuse et physique.”

“Quand il était jeune, ce n’était pas le premier. Au pôle France, ce n’était pas le premier. A l’Insep, ce n’était pas le premier. Mais il s’en sort toujours.”

Patrick Vergnes, ancien entraîneur de Benjamin Bonzi

Les chantiers sont encore nombreux pour le 63e mondial. “On s’occupe encore de construire son tennis, admet Zimbler. On essaye de travailler toujours sur l’objectif d’être plus agressif, de prendre l’échange à son compte… Il va être important d’améliorer son pourcentage de premières balles et les premiers coup de raquettes.”

Bonzi est persuadé qu’il peut encore progresser partout. “J’ai encore de belles choses à faire. Je ne vais pas me prendre la tête, continuer comme ça et voir où je peux aller.” Patrick Vergnes est convaincu que son ancien protégé va continuer de progresser. “Quand il était jeune, ce n’était pas le premier. Au pôle France, ce n’était pas le premier. A l’Insep, ce n’était pas le premier. Mais il s’en sort toujours.”

Après la digestion, viendra sûrement le temps des belles victoires. En 2021, Benjamin Bonzi n’est pas passé loin de battre Goffin et Khachanov, deux top 30. “C’étaient des matches que je découvrais à cette époque à ce niveau. J’ai beaucoup plus de repères.” Le meilleur joueur qu’il a battu ? Daniil Medvedev à Roland-Garros 2017. Le Russe était alors 66e mondial.

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