Notre entretien avec Gilles Cervara : «Daniil a retrouvé ce fil conducteur qui lui permet d’être génial»

Convaincu depuis longtemps que Daniil Medvedev peut avoir la même efficacité sur terre battue que sur dur, Gilles Cervara, son entraineur, raconte le processus par lequel le numéro 2 mondial s’est remis à l’endroit à Roland-Garros. En insistant sur les enjeux mentaux de son travail.

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C’est un article que nous avions titré “Rester Medvedev et devenir terrien : la fragile entreprise de Daniil Medvedev“. Paru début mai sur Tennis Majors, il racontait les obstacles qui empêchaient le numéro 2 mondial d’avoir la même efficacité sur terre battue que sur dur, malgré un profil technique a priori adapté aux batailles de l’ocre. Aujourd’hui en quart de finale de Roland-Garros (match contre Tsitsipas mardi à 21 heures en night session), le joueur russe a pris la mesure de la surface avec une soudaineté que ni ses résultats, ni son attitude à Madrid, Rome et à l’UTS ne laissaient entrevoir. Son entraîneur nous disait alors : « Tout le monde a ses propres croyances limitantes, dans quelque domaine que ce soit. Ça peut encore arriver avec Daniil à propos de ses qualités sur terre battue. » Son parcours à Roland-Garros prouve que Medvedev a surmonté ces blocages. Son coach nous explique comment.

Gilles Cervara, le moins que l’on puisse dire est que le Roland-Garros de Daniil Medvedev n’est pas au diapason de ses résultats au cours de la saison sur terre battue.

Gilles Cervara : C’est exact et la première chose que je peux dire est que, depuis notre arrivée (mercredi 26 mai, ndlr), on a un feeling incroyable avec l’endroit. Avant cette année, je détestais Paris et Roland-Garros. Or là, dès le premier jour, je me suis dit que le stade était incroyable, au même niveau voire plus haut que les autres Grands Chelems. On ressent une harmonie entre un endroit et un autre, on voit le vert de la végétation, il y a une forme de bien-être. Comme entraîneur, je ne me contente évidemment pas de ça pour expliquer la performance du joueur, mais il y a eu cette sensation, dès le premier jour, d’être dans un environnement idéal. Quand Daniil est arrivé, il a ressenti ce boost.

On ne savait pas à quoi s’attendre à Roland-Garros. Ses mauvais résultats, on n’en a pas fait tout un pataquès.

Gilles Cervara

Pourtant, la dernière image de lui avant Paris, c’est sa défaite contre Taylor Fritz à l’UTS, où il lâche le match et continue de dire qu’il est nul sur terre battue.

Gilles Cervara : Il s’est passé beaucoup de choses pendant la saison sur terre battue de Daniil. Après UTS, chaque membre de l’équipe lui a exprimé ce qu’il avait à lui dire. Les entraînements qu’on avait eus à l’académie Mouratoglou étaient très bons, on était sur un cheminement de travail prometteur qui a été assombri par l’UTS. Autant la défaite contre Moutet n’était pas catastrophique, notamment parce que Moutet avait très bien joué. Autant le deuxième jour, avec ce match contre Florian Fritz, c’était la catastrophe du premier au dernier point.

On ne savait pas à quoi s’attendre à Roland-Garros. On n’en a pas fait tout un pataquès. On a accompagné Daniil dans sa bonne énergie et tout le travail réalisé en amont peut enfin émerger ici. Notamment sur le plan mental, et j’insiste sur ce point car on n’en parle pas assez en France, ou on en parle mal. Nous faisons un travail spécifique avec Francisca Dauzet qui lui apporte beaucoup. Depuis dix jours, je ne cherche qu’à entretenir Daniil dans son état d’excellence et son énergie parce que je vois qu’il est dans son élément.

Sur le plan tennistique, il semble particulièrement à l’aise avec la balle Wilson. Il dit qu’il peut jouer avec elle comme sur dur. Tu nous disais il y a six semaines qu’il avait besoin de se convaincre lui-même de son potentiel sur terre battue et manifestement, cette conviction est venue de la balle.

Gilles Cervara : C’est vrai que ça a été un élément extérieur qui lui a permis d’avoir un impact sur ses automatismes. Ça lui a permis de reprendre un fil conducteur et de retrouver ce qui lui permet d’être génial. Il sent qu’il peut faire ce qui marche pour lui. A partir de là, tout n’est pas explicable sur la façon dont son cerveau capte la situation. Il s’en convainc lui-même, donc tout roule. C’est très particulier.

Contre Tsitsipas, je ne me sens plus en outsider qu’en favori.

Gilles Cervara

Il a reconnu de façon plutôt honnête que le tableau, avec Nadal dans la moitié de Djokovic, était une opportunité. Toi aussi, tu as l’impression qu’il y a une opportunité rare ?

Gilles Cervara : Les premiers tous qu’il a joués, face à des joueurs qui lui permettaient de jouer comme sur dur, ont entretenu cette sensation de réussite (Bublik, Paul, Opelka, Garin). Maintenant, nous sommes en quart de finale contre Tsitsipas qui est le numéro un bis sur cette surface, je ne peux plus rien projeter de cette nature. On est dans les derniers kilomètres maintenant.

Tu parlais de mental au début de cet entretien. Daniil a une psychologie très particulière puisqu’on le voit ici se nourrir de l’énergie positive du public, qu’il est allée chercher à l’issue de son huitième de finale, alors qu’il s’était nourri de son énergie négative à l’US Open 2019.

Gilles Cervara : Oui, il a une ouverture de cœur – qui n’est pas anodine, quand on parle de travail mental – assez belle à voir. Moi, entraîneur, quand je le vois s’encourager sur le terrain, je trouve ça fort de le voir dégager cette énergie.

Lors de leur dernier match en Grand Chelem, en demi-finale à Melbourne, Medvedev avait rapidement découragé Tsitsipas (6-4, 6-2, 7-5). Est-ce un précédent sur lequel vous pouvez vous appuyer ?

Gilles Cervara : Je me sens plus en outsider qu’en favori. J’estime que Stefanos a fait un début de saison, notamment sur terre, si impressionnant que Daniil devra faire un match superbe pour le déstabiliser. C’est un autre match. Comme entraîneur, ce n’est pas un facteur de préparation pour moi. Eux sur le court, je ne sais, c’est possible qu’il reste des traces.

Le match aura lieu en night session donc à huis clos. Est-ce un enjeu pour la préparation du match ?

Gilles Cervara : Non, pas d’inquiétude à ce sujet. Cela dit, même si je comprends les enjeux économiques liés à la vente des droits à Amazon Prime Video, ces night sessions donnent l’impression qu’il y a une coupure dans le tournoi. D’autres entraîneurs avec lesquels j’en parlais partagent cette sensation : les matches du soir ne font pas partie de la culture de Roland-Garros, au contraire des autres Grands Chelems. Le soir à l’hôtel, on se sent déconnectés du tournoi.

Si quelqu’un pense que je peux avoir un rôle et quelque chose à apporter, avec grande humilité ça m’intéresse.

Gilles Cervara

Sur un tout autre sujet, une nouvelle équipe fédérale est à la direction du tennis français depuis l’élection de Gilles Moretton. Tu n’as pas été invité à la table ronde organisée dimanche à Roland-Garros pour réfléchir à la façon dont le tennis français est organisé. Est-ce que ça t’intéresserait ?

Gilles Cervara : Evidemment. Si quelqu’un pense que je peux avoir un rôle et quelque chose à apporter, avec grande humilité ça m’intéresse. Mon parcours est atypique et renferme beaucoup de choses utiles et puissantes pour le haut niveau. Maintenant, je ne suis pas décideur. 

As-tu un avis sur ce qui fait que le tennis français ne peut plus envoyer de joueuse ou de joueur en simple au troisième tour de Roland-Garros ?

Gilles Cervara :Il faut une réflexion sur ce qui a pu engendrer ça. Est-ce une question de potentiel des joueurs ? Je n’ai pas la réponse car je ne les connais pas tous. Mais si on part du principe que le potentiel joueurs existait, il faut se poser la question de l’environnement et de la culture dans lesquels la fédération a évolué. C’est un gros travail. Il y a de nouvelles personnes en place, qui ont leur vision. Je ne les connais pas personnellement. Quand Daniil m’a demandé d’être son entraineur, il m’a confirmé que j’avais carte blanche pour m’organiser et j’ai mené ma barque comme ça. Je pense qu’ils sont dans la même démarche.

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