Rester Medvedev et devenir terrien : la fragile entreprise de Daniil Medvedev

Daniil Medvedev aborde la saison sur terre battue avec une réelle opportunité de la boucler à la place de numéro 1 mondial. A condition toutefois de trouver enfin des repères et de la consistance sur une surface qui lui a rarement réussi depuis le début de sa carrière.

Daniil Medvedev, Madrid, 2019 ZM / Panoramic

1er février 2004. C’est la dernière fois qu’un joueur n’étant pas membre du Big 4 a occupé la place de numéro 1 mondial. C’était Andy Roddick, qui a pris sa retraite il y a plus de sept ans. Au cours du prochain mois et demi, Daniil Medvedev a une vraie de chance de se rapprocher de Novak Djokovic, peut-être même de le dépasser. Mais il doit d’abord progresser dans un domaine : le jeu sur terre battue.

Medvedev a disputé deux finales de Grand Chelem, remporté trois titres en Masters 1000 et le Masters de fin de saison. Mais sur les 17 finales du Russe en carrière, il n’y en a qu’une sur terre battue : à Barcelone, il y a deux ans. Encore plus parlant, il a gagné autant de matchs sur terre battue sur le circuit qu’il n’a remporté de titres sur dur (10). Il n’a même jamais remporté la moindre rencontre à Roland-Garros. Pour devenir le meilleur, Medvedev doit apprivoiser la terre battue, pour laquelle il a très peu de goût.

Au moment où le Russe envisageait de s’astreindre à une saison sur terre battue complète cette année, il a été testé positif au coronavirus juste avant le début du Masters 1000 de Monte-Carlo. Medvedev a aussi manqué le tournoi de Barcelone, mais s’entraîne depuis une semaine. S’il n’est pas encore à 100%, Medvedev cherchera à faire un bon parcours à Madrid et/ou à Rome avant le coup d’envoi de Roland-Garros.

Lift, changements de rythme : Pourquoi la terre ne réussit pas à Medvedev

Son coach Gilles Cervara confirme que Medvedev a une énorme marge de progression sur terre battue. Il souligne surtout que les apparences sont trompeuses.

“Oui, il renvoie tout, mais sa balle revient d’une façon qui ne produit pas la même chose sur dur ou sur terre, et ça ne produit pas la même chose chez l’adversaire. Je parle de la vitesse de la surface, de rebond de la balle, de son volume de balle, du temps que ça donne à l’adversaire. Il se déplace bien oui, mais là encore, ce n’est pas le même type de déplacements sur terre et sur dur, ce ne sont pas les mêmes appuis, donc tu ne crées pas la même chose dans la balle.”

Dusan Lajovic est le seul joueur, avec Djokovic et Roberto Bautista Agut, à avoir battu Medvedev en 2021. Il l’a fait à Rotterdam (7-6, 6-4, au 2e tour), mais Lajovic a aussi remporté leur unique confrontation sur terre battue, à Monte-Carlo en 2019 (7-5, 6-1, en demi-finale).

Le Serbe a bien senti la différence entre le Medvedev de la terre et le Medvedev du dur.

“J’ai l’impression qu’il se précipite parfois sur terre battue, mais ce qui lui convient le moins, ce sont les changements de rythme fréquents : la vitesse de la balle, le lift ou le slice, estime le 38e joueur mondial. Medvedev est inarrêtable quand il impose son rythme, quand il tape la balle à hauteur de hanche, ou un peu plus haut. Quand ça joue en cadence, c’est un cauchemar pour n’importe quoi. Sur dur, il a les armes pour vous attirer dans son piège, mais ses adversaires ont un éventail de solutions plus large sur terre.”

S’adapter sans se renier, le défi de Medvedev

Petar Popovic – qui travaille actuellement avec Andrea Petkovic après entraîné Ivo Karlovic, Filip Krajinovic et Damir Dzumhur entre autres – énumère les solutions possibles évoquées par Lajovic : slices courts, amorties, et une position très reculée en retour (“Daniil suit rarement son service à la volée”), par exemple.

Popovic juge aussi que les frappes à plat de Medvedev ont plus de chances d’être contrées sur terre battue, particulièrement sur son coup droit.

“J’ai la sensation qu’il doit mettre plus de lift dans son coup droit sur terre battue. Par exemple, Djokovic le fait, et ça lui ouvre davantage le court. Le coup droit de Daniil n’est pas aussi fiable sur terre. Quand il joue en confiance, ce qui est le cas en ce moment, ça rentre. Mais en cas de blessure, Dieu l’en préserve, j’ai l’impression que ça lui prendrait plus de temps pour retrouver son coup droit.”

“Sur dur, les balles rebondissent moins après ses coups droits à plat, et elles rebondissent plus haut sur terre battue, à hauteur de hanche, ce qui rend les choses plus faciles pour ses adversaires. Il est vrai que Medvedev a obtenu de bons résultats sur terre battue par le passé, mais je serais surpris s’il réussissait un jour aussi bien sur terre que sur dur.”

Daniil Medvedev, Monte-Carlo, 2019

Cervara partage cette analyse et confirme que son objectif est de hisser Medvedev à ce niveau. Y parvenir sans renier son identité est la condition de sa réussite.

“Ça demande de reconsidérer des choses qui sont intégrées à son profil de joueur, et ce n’est pas évident. Ça demande de sortir d’un registre pour un autre, mais tu peux casser certains repères et c’est déstabilisant. La pyramide s’en trouve ébranlée.”

“Les joueurs ont intériorisé un modèle de leur identité de jeu, il y a un automatisme créé dans leur cerveau. Dès que tu commences à introduire des choses qui sortent de ça, recréer un autre modèle dans lequel tu te sens bien, c’est ça, le challenge pour un entraîneur. Il faut arriver à créer cet autre modèle, en co-construction avec le joueur, qui pourrait lui permettre de rester dans son profil tout en étant efficace.”

Cervara : L’attitude, la clé pour réussir sur terre battue

Parlant des bons résultats de son joueur à Monte-Carlo et à Barcelone en 2019 – Medvedev avait notamment battu Djokovic et Tsitsipas –, Cervara révèle qu’il a décelé des choses sur lesquelles Medvedev peut s’appuyer, dans son jeu.

“Il avait bien commencé la saison. Le premier et le deuxième match sont souvent importants pour se lancer et prendre confiance, pour tous les joueurs de tennis. Avec Daniil qui prend cette confiance, les choses s’étaient organisées dans son cerveau pour se sentir bien.”

Prolongeant son idée, Cervara insiste sur la dimension psychologique du travail en cours. Medvedev ne cache pas son désamour de la terre battue.

“Tout le monde a ses propres croyances limitantes, dans quelque domaine que ce soit. Et ce n’est pas aussi simple de les confronter à la réalité. Tu montres à la personne le tableau de la réalité tel qu’il est, mais avec les filtres des croyances que chacun a, elle ne le voit pas de la même manière. Et c’est ça qui compte. Ça peut encore arriver avec Daniil à propos de ses qualités sur terre battue.”

Cervara : “C’est lui-même qui sera le pilote de ça, sur le terrain”

Ces difficultés se matérialisent dans la tendance de Medvedev à ne pas se battre sur terre battue comme il le ferait sur une surface où il se sent plus à son aise. Un souvenir évoqué par Cervara est la défaite du Russe contre Kyle Edmund à Madrid en 2019 (6-4, 6-0). Mais le Français reste confiant sur la faculté de son joueur à inverser la tendance.

“C’est lui-même qui sera le pilote de ça, sur le terrain. C’est lui-même face à lui-même, quand il sera face à ces difficultés-là, de voir quel chemin il décide de prendre. Nous, en tant qu’équipe, on fera tout pour qu’il soit apte à résister aux moments difficiles, et il y en aura.”

Petar Popovic fait observer que l’évolution générale du Russe servira son projet sur terre battue.

“Il était instable mentalement sur le terrain, jusqu’à il y a deux ou trois ans, et il a fait de vrais progrès sur ce point. Physiquement, il était sujet aux crampes, parfois même dans le troisième set. Mais ce n’est plus le cas, il est bien meilleur maintenant.”

Les premières réponses de Madrid seront confirmées ou infirmées à Rome, et probablement à une troisième compétition avant Roland-Garros.

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