1968, l’ère Open : Le moment où le tennis a décidé de devenir un sport moderne

En 1968, le tennis s’est trouvé bouleversé par le passage à l’ère Open. Les joueurs professionnels et amateurs étaient enfin autorisés à disputer les mêmes tournois. La fin d’un long combat mené par les joueurs et le début d’une révolution qui a permis au tennis de transformer ses plus prestigieuses compétitions en grand spectacle. Et à en faire un vrai business.

Ere Open - Long format (FR) Ere Open – Long format (FR)

30 mars 1968. Probablement la date la plus importante de l’histoire du tennis. Les membres de la Fédération internationale de tennis sont réunis dans les salons de l’Automobile Club de France, Place de la Concorde dans le 8e arrondissement de Paris, pour signer l’acte de naissance de l’ère Open. Place à la révolution. A la modernité. Pour la première fois de l’histoire du tennis, les fédérations vont autoriser les joueurs professionnels à disputer, en compagnie des amateurs, les tournois qu’elles organisent. Ce changement sera la première pierre fondatrice du tennis tel que nous le connaissons aujourd’hui, populaire et avec les meilleurs joueurs du monde présents dans les plus grands tournois du monde. Pour un plus grand spectacle.

Mais tout n’a pas été facile, loin de là. Avant 1968, le tennis était divisé en deux clans : celui des amateurs, qui disputaient des tournois sans le moindre prize-money, et celui des professionnels, qui étaient payés par des promoteurs pour leurs performances. Avec une contrainte, pour ces derniers : celle de ne pas pouvoir disputer les tournois du Grand Chelem, pourtant le Graal du tennis, ceux-ci n’étant ouverts qu’aux joueurs amateurs. Les plus grands tournois du monde n’offraient alors pas de rémunération. A l’époque, la noblesse du sport était au-dessus de tout, et la bonne conscience collective voulait qu’il ne faille pas gagner d’argent pour être considéré comme un grand champion.

« En réalité, les fédérations, qui organisaient les plus grands tournois du monde, payaient les joueurs amateurs en cachette, pour avoir le contrôle sur eux, nous dit le journaliste et historien du tennis Steve Flink. Et ces joueurs, payés sous le manteau, étaient appelés Shamateurs (amateurs de la honte). Ces amateurs ne gagnaient pas des sommes astronomiques, mais assez pour vivre du tennis, et jouer les tournois les plus prestigieux ».

Dans son autobiographie, Mon histoire : Mémoires d’un champion, parues en 1948, Bill Tilden, joueur américain vainqueur de 10 tournois du Grand Chelem entre 1920 et 1930, écrivait :

« Si le tennis doit réaliser son plein potentiel, il doit trouver une solution au problème pros/amateurs qui le tourmente depuis tant d’années. Seule une telle solution permettra la libre-concurrence non seulement entre quelques-uns des grands joueurs du monde, mais entre tous. Le public veut voir les meilleurs. Qu’ils soient amateurs ou professionnels, cela n’a pas d’importance ».

Tilden avait déjà bien compris la situation de son sport, vingt ans avant le passage à l’ère Open.

Bill Tilden, 1930 Wimbledon

Malgré leur prestige, les tournois amateurs – c’est-à-dire Wimbledon, Roland-Garros ou l’US Open notamment – sont de plus en plus désertés au cours des années 60 au profit des tournois professionnels, qui permettent aux joueurs de gagner beaucoup plus d’argent. Des promoteurs organisent des tournées avec les meilleurs joueurs professionnels au monde, avec un gros cachet à la clé. Les trois plus gros tournois professionnels sont le Wembley Pro, l’US Pro et le French Pro. Rod Laver, une des légendes de ce sport, est par exemple un joueur amateur de 1956 à 1962, avant de passer professionnel en décembre 1962. Il n’a pas le droit de jouer le moindre Grand Chelem de 1963 à 1967… Le départ des meilleurs joueurs amateurs vers le monde professionnel pour ne plus dépendre de leurs fédérations, et gagner plus d’argent, était alors fréquent. En désertant les tournois prestigieux comme Wimbledon ou Roland-Garros, ils espèrent provoquer un changement du système.

« Le public voulait voir les meilleurs, explique Steve Flink. Mais ceux-ci, passés professionnels, ne pouvaient plus jouer les tournois les plus prestigieux. Ken Rosewall, Rod Laver, Pancho Gonzalez, ces grands noms ne jouaient pas les tournois du Grand Chelem ! »

Le tennis se fourvoie : il faut réunir les deux « clans ».

1960, acte manqué

L’ère Open aurait pu débuter huit ans plus tôt, en 1960. Mais le coup tenté alors par la Fédération Internationale de tennis sur gazon (International Lawn Tennis Federation) échoue. Au cours de l’été 1960, l’ILTF se réunit à Paris pour voter l’ouverture des tournois au monde amateur et professionnel. Motion rejetée pour seulement… cinq voix ! Cette défaite fut un vrai choc pour les joueurs, amateurs et professionnels, qui étaient déjà convaincu que la motion allait être votée. Les Fédérations nationales entendent encore garder le contrôle des joueurs amateurs licenciés. En effet, celles-ci décident des tournois que leurs joueurs, salariés, vont disputer chaque année.

« A cette époque, les fédérations nationales dirigeaient le tennis : les joueurs étaient engagés pour jouer pour leur pays, c’était la priorité », nous explique Joël Drucker, journaliste spécialisé dans l’histoire du tennis.

Rod Laver, 1968 Wimbledon

Pendant que d’autres sports comme le football, la Formule 1 ou encore la boxe commencent ou poursuivent leurs évolutions vers la professionnalisation et se transforment en un vrai business, le tennis reste en retrait, stagnant et perdant petit à petit sa popularité.

« Les événements les plus connus n’avaient pas les meilleurs joueurs, a écrit Jack Kramer, l’un des créateurs de l’ATP, dans son autobiographie The Game – My 40 Years In Tennis. Le tennis était un sport formidable, mais avec des amateurs et des professionnels dans deux endroits différents, il ne pouvait pas obtenir la visibilité qu’il méritait vraiment. »

Les joueurs devront attendre huit longues années avant que cela ne devienne enfin une réalité, avec l’importante signature de la Fédération internationale de tennis, officialisant la naissance de l’ère Open, et la réunification des joueurs amateurs et professionnels. En l’espace de huit ans, les fédérations ont perdu leurs meilleurs joueurs, passés professionnels, et sentent bien que l’ère est au changement. Fin 1967, voulant faire bouger les choses, et contre l’avis de l’ILTF, la fédération anglaise (British Lawn Tennis Association) a approuvé une réforme visant à organiser en Grande-Bretagne des tournois ouverts aux professionnels comme aux amateurs, y compris celui de Wimbledon, dès 1968. Une décision courageuse qui va recevoir le soutien de plusieurs autres fédérations, et qui va pousser l’ILTF à changer la face du tennis le 30 mars 1968.

Bournemouth 1968, révolution validée

Le premier tournoi officiel de cette nouvelle ère se dispute à Bournemouth, en Angleterre, entre le 22 et le 27 avril 1968. Un amateur y fait fureur, le Britannique Mark Cox. Il bat deux stars professionnelles : Roy Emerson et Pancho Gonzalez. Cox ne gagnera pas le tournoi. Une autre star de l’époque, Ken Rosewall, sortira vainqueur face à Rod Laver en finale. C’est une réussite pour les organisateurs. Les ventes de billets sont six fois supérieures à celles des années précédentes. « Si quelqu’un doutait que l’ère Open puisse galvaniser l’intérêt du public du jour au lendemain, voici la réponse », écrit la journaliste britannique Linda Timms pour World Tennis au lendemain de la finale. 

« Le passage à l’ère Open a été un immense pas en avant pour le tennis, nous souffle Steve Flink. Ça a énormément contribué à la popularité de ce sport. Le public pouvait enfin voir les meilleurs joueurs du monde, qui ont d’ailleurs gagné les premiers Grands Chelems sous l’ère Open. Ken Rosewall à Roland-Garros, Rod Laver et Billie Jean King à Wimbledon ! »

La qualité du tennis joué partout dans le monde s’améliore rapidement. L’intérêt du public et des sponsors pour couvrir ces tournois s’accroît. Les revenus et le professionnalisme du tennis se développent dès le début des années 70. Les joueurs verront dans cette ère moderne l’opportunité de construire un vrai business, pour gagner plus d’argent. Mais cette quête de pouvoir et de reconnaissance s’apprête à créer une nouvelle séparation, entre les hommes et les femmes, cette fois. Pensant être plus populaires et bankables que leurs homologues féminines, ces messieurs réfléchiront à un plan de développement dans leur coin. Le point de départ d’une fragmentation du pouvoir et d’une lutte pour une égalité de traitement face aux primes. Dont le tennis n’est pas encore sorti aujourd’hui.

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