Être joueur professionnel et ne pas regarder de tennis, une manière de déconnecter pour certains, un “problème générationnel” pour d’autres 

Regarder du tennis en dehors de ses tournois et pendant son temps libre n’est pas une habitude prise par tous les joueurs. Cette pratique, longtemps adoptée par le circuit, semble se perdre petit à petit.

Roland-Garros 2022 Roland-Garros 2022 – © Maxime Le Pihif/SIPA

À Wimbledon, l’affirmation a presque surpris quand Daniil Medvedev s’est présenté en conférence de presse après sa victoire en huitième de finale : “Quand je ne suis pas dans le tournoi, je n’en regarde pas. J’aime me déconnecter, faire d’autres choses. Je n’en regarde que très rarement”. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le Russe fait allusion au… tennis.

Un mois plus tard, en marge de la Hopman Cup, Borna Coric est allé dans le sens du troisième joueur mondial : “Je ne regarde jamais de tennis. Je n’ai pas le temps parce que j’ai envie de rentrer chez moi et profiter de mes amis.”

Dans une ère où les cadences d’entraînement deviennent infernales, où les réseaux sociaux l’ont emporté sur tout pendant les temps libres, peut-on vraiment en vouloir aux joueurs et joueuses de ne pas s’infliger des matchs de tennis en plus à visionner ?

Novak Djokovic et Carlos Alcaraz - Wimbledon 2023
Novak Djokovic et Carlos Alcaraz – Wimbledon 2023 © Action Plus / Panoramic

C’est avant tout une histoire de génération pour Éric Winogradsky, entraîneur de Jo-Wilfried Tsonga entre 2004 et 2011 : “À l’époque, on récupérait une cassette et on regardait les matchs en entier. Aujourd’hui, les plateformes proposent tout un tas d’options qui permettent de regarder spécifiquement et d’analyser les jeux des uns et des autres” résume t-il. Certains joueurs embauchent d’ailleurs des analystes personnels pour s’éviter cette corvée.

Certains ont un sens inné du jeu et vont très vite sentir les choses

Éric Winogradsky

Pourtant, la culture de la gagne passe aussi par l’analyse du jeu de ses adversaires. Andy Murray, trois fois vainqueur en Grand Chelem et considéré comme hyper expérimenté, a reconnu avoir énormément appris en regardant la finale de Wimbledon entre Novak Djokovic et Carlos Alcaraz, remportée par l’Espagnol.

“J’ai trouvé qu’ils jouaient tous les deux de mieux en mieux et on pouvait presque voir Alcaraz apprendre au fur et à mesure que le match avançait. […] Je regardais aussi un peu les équipes et je voyais les joueurs et leurs réactions entre les points. Il était intéressant de voir que la frustration était là, mais aussi de voir comment ils réagissaient. C’était bien, je suis vraiment content d’être resté pour le regarder” a expliqué le Britannique lors du traditionnel “media-day” à Washington, qui entretient, encore à 36 ans, son rapport au tennis.

Andy Murray - (c) AI / Reuters / Panoramic
Andy Murray – (c) AI / Reuters / Panoramic

Chacun finalement jugera bon, ou non, de “bouffer” du tennis pour accélérer une progression sur le plan tactique. Surtout que cette culture du visionnage n’est pas donnée à tout le monde : “Certains ont un sens inné du jeu, vont très vite analyser, très bien sentir les choses. Certains ont un peu moins cette aptitude, c’est là que l’entraîneur doit combler un éventuel manque,” explique Eric Winogradsky, actuel entraîneur du groupe “Ambition Grand Chelem” à la Fédération française de tennis.

C’est aussi à l’entraîneur d’effectuer ce travail pour décharger le joueur, toujours selon Eric Winogradsky. “En dehors des matchs de son joueur, l’entraîneur doit aller en voir d’autres, des entraînements également, c’est un travail complémentaire qu’il doit accomplir. Le joueur ne va pas passer sa journée à faire cela non plus”, poursuit-il même s’il est persuadé des bienfaits, pour le joueur, de regarder du tennis le plus possible.

La santé mentale, devenue cruciale pour joueurs et joueuses

Le plus possible oui, mais à quel prix ? De nombreuses joueuses, comme Naomi Osaka ou Amanda Anisimova, ont récemment fait une pause dans leur carrière à cause d’une santé mentale instable. Une pression difficile à évacuer qui rejaillit en dehors des tournois et dans la vie de tous les jours.

Est-il alors nécessaire de s’entêter à regarder son sport à la télévision ? “Pour se ressourcer, il faut arriver à couper le plus possible avec son activité. Certains joueurs sont totalement accros et n’arrivent pas à couper. Je pense qu’il y en a moins. C’est important de se rafraîchir les idées et les neurones” assure Eric Winogradsky. Ce raisonnement est aussi valable pour les joueurs qui ne peuvent s’empêcher de consommer leur sport, partout, tout le temps.

Naomi Osaka - Tokyo 2022
Naomi Osaka – Tokyo 2022 © Zuma / Panoramic

Si rien n’est prouvé sur le sujet, il est logique de penser qu’un sentiment de ras-le-bol a plus de chances de s’installer chez ces profils de compétiteurs.

Les jeunes joueurs ont perdu l’habitude de regarder du tennis

Sur Twitter, dans la foulée des déclarations d’Andy Murray à propos la finale de Wimbledon, une réponse a attiré l’attention. Celle d’Ivan Ljubicic, ancien joueur et entraîneur de Roger Federer. “Aujourd’hui, je trouve que les jeunes joueurs ne regardent pas assez le tennis. Ils ne regardent que les temps forts, qui ne disent évidemment rien sur le match. Il y a tant à apprendre des matchs d’autres joueurs” a regretté celui qui est directeur de la mission “Ambition 2024” à la FFT.

Une critique largement validée par Éric Winogradsky : “Il faut se battre. Ils regardent des morceaux, des résumés sur les réseaux sociaux avec des points incroyables. Mais malheureusement ce n’est pas la réalité du jeu. On les encourage à regarder le plus de matchs possibles, plutôt que de discuter sur les réseaux sociaux et être sur son portable toute la journée.”

Mais alors, comment regarde t-on un match de tennis pour en tirer des choses positives ? “C’est surtout ne pas faire autre chose à côté. Il faut être attentif, ne pas regarder son téléphone toutes les trois minutes. Le problème est là aujourd’hui. Quand on a suffisamment d’expérience et bien concentré sur la tâche, il n’y a rien de mieux. À l’époque, on avait un DVD et on se le mangeait en entier” conclut Eric Winogradsky qui aimerait plus de rigueur de la part de la jeunesse au moment d’effectuer cette tâche.

Celle-ci ne garantit pas une meilleure carrière. Mais elle permet au moins d’entretenir une certaine culture du tennis qui semble se perdre depuis l’avènement des réseaux sociaux.

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