Séduisante mais peRFectible : comment la Laver Cup va devoir évoluer pour durer

A l’issue d’une quatrième édition réussie mais partiellement “gâchée” par un suspense inexistant, la Laver Cup a été mise face à ses imperfections. Voici comment, et pourquoi, elle devrait évoluer pour s’installer définitivement dans le cœur des gens.

Daniil Medvedev & Denis Shapovalov, 2021 Laver Cup Daniil Medvedev & Denis Shapovalov, 2021 Laver Cup © ZUMA / PANORAMIC

Ça n’est pas encore gagné. Même si l’on a vu de plus en plus de passionnés séduits par la Laver Cup à l’occasion de cette quatrième édition, qui s’est soldée dimanche par une victoire à sens unique de la Team Europe (14-1), on a encore senti beaucoup de défiance à l’égard d’une exhibition – ou d’une compétition, on ne sait plus – qui peine à conquérir définitivement le cœur des puristes.

La faute à qui, la faute à quoi ? L’événement (appelons-le comme ça) n’est pas responsable de tous les maux qu’on lui met sur le dos, à commencer par la disparition de l’ancienne formule de Coupe Davis, une épreuve qu’elle n’a jamais eu vocation à remplacer, puisqu’elle met aux prises des blocs continentaux et non des nations. Mais l’on peut comprendre aussi qu’en tant qu’épreuve internationale par équipes, la Laver Cup cristallise une partie de la colère à ce sujet.

Rééquiliber les matchs de Laver Cup

Mais la principale critique faite à l’égard de cette édition 2021 reste l’absence totale de suspense, même s’il faut souligner que le score est sévère pour les “Mondialistes” : la plupart des matches ont été serrés, mais ils ont tous (sauf un double) tourné à l’avantage des joueurs européens, mieux classés et tout simplement meilleurs.

Evidemment, on n’a pas attendu aujourd’hui pour constater l’hégémonie de l’Europe sur le tennis mondial. C’est d’ailleurs bien pour cela que Tony Godsick et Roger Federer, les deux organisateurs de l’épreuve via leur agence Team 8, ont imaginé une épreuve mettant en scène un continent contre quatre autres. Ce qui la différencie – au hasard – de la Ryder Cup de golf, qui oppose un continent (l’Europe) à un pays (les Etats-Unis).

Mais cette omnipotence européenne, la Laver Cup 2021 l’a mise en lumière à un point que l’on n’avait peut-être pas complètement réalisé. Elle n’est plus seulement latente. Elle est outrancière. Certes, la chose est cyclique. Mais cela dure depuis maintenant près de vingt ans, et on a l’impression que le fossé ne fait que grandir.

Féminiser l’épreuve ?

En attendant que des nations majeures du tennis mondial relèvent la tête, comme les Etats-Unis, l’Australie, mais plus encore l’Argentine et plus globalement l’Amérique du Sud, une piste pour rééquilibrer immédiatement les forces en présence serait d’intégrer les femmes à la Laver Cup, et donc de créer une épreuve mixte.

Si les Européennes sont également majoritaires parmi l’élite de la WTA, la domination du Vieux-Continent dans le tennis féminin est largement moins prégnante. Elle est même contestable quand on sait que les deux dernières n°1 mondiales, l’actuelle Ashleigh Barty et celle à qui elle a succédé, Naomi Osaka, sont respectivement australienne et japonaise. 

Quoi qu’il en soit, cette piste, évoquée notamment par Marion Bartoli et nos experts dans le dernier numéro de Match Points, notre émission de débats, ne manquerait pas de panache, et encore moins d’intérêt : elle s’engouffrerait dans une porte ouverte par Roger Federer lui-même, qui avait évoqué l’an dernier la nécessité d’une fusion ATP/WTA. Ce serait, de sa part, un geste extrêmement puissant et symbolique. Mais des paroles au business, il y a peut-être un gouffre…

Sortir de la Federer-dépendance

Même si le “produit” (quel horrible mot quand on parle de sport !) est extrêmement séduisant, avec un format de scoring très bien pensé, l’épreuve semble encore trop jeune et dépendante de sa figure tutélaire pour prendre définitivement son envol.

Cela viendra peut-être, et il faut d’ailleurs noter que les tribunes du TD Garden de Boston étaient fort bien garnies durant les trois jours. En attendant, soyons lucides : la simple présence de Federer en tribunes a suscité beaucoup plus de réactions et d’articles dans les journaux que l’épreuve en elle-même, qui a pourtant donné lieu à de très beaux matches.

Le Suisse a-t-il vraiment voulu surprendre son monde en faisant une apparition secrète à Boston, comme il l’a dit, ou a-t-il considéré au dernier moment que sa présence était indispensable pour donner un coup de boost médiatique à son épreuve ? La question peut se poser.

Cela dit, il est certain que Federer sera toujours dans les parages puisque, comme il l’a dit aussi, un poste de capitaine ou de capitaine-adjoint lui plairait bien à l’avenir. Peut-être pour remplacer un Björn Borg dont l’absence d’investissement commence à se voir, et à être raillée.

Mais ça ne changera rien à la problématique : une épreuve, pour s’installer, doit forcément être plus grande que son fondateur. A l’image de la Coupe Davis qui, au siècle dernier, s’était rapidement affranchie de l’image de son créateur, Dwight Davis, grâce à un succès immédiat. 

Clarifier la nature et le but de l’épreuve

Exhibition ou compétition ? Telle est la question qui agite (et divise) majoritairement le microcosme du tennis quand on parle de Laver Cup. Le débat est sans fin, pour la simple raison que la réponse n’est pas mathématique, la frontière séparant une exhibition d’une compétition étant tracée sur des contours qui restent assez subjectifs.

A la base, une épreuve qui ne propose pas de points ATP est à considérer comme une exhibition. Mais ça n’est pas si simple puisque la Coupe Davis, qui n’a pas toujours (et même rarement) été dotée en points, n’a jamais été considérée comme telle.

La tradition, l’ancrage dans le temps et surtout le degré d’envie de gagner des participants sont des critères tout aussi importants – certainement plus que la prise en compte des matches dans les tête-à-tête officiels par l’ATP, qui est actée. Les organisateurs, eux, réfutent le terme d’exhibition, devenu tabou alors qu’il ne devrait pourtant rien avoir de péjoratif. Peut-être ont-ils tort, d’ailleurs, dans la mesure où une exhibition assumée serait moins considérée comme une menace par les traditionalistes. Ou alors, peut-être ont-ils d’autres ambitions ?

Quoi qu’il en soit, la Laver Cup gagnerait sans doute à clarifier son discours à ce sujet, même si l’on a bien compris que ça n’était pas si simple.

S’harmoniser avec le calendrier

C’est là aussi l’un des principaux reproches souvent adressés à la Laver Cup : le fait de “clasher” avec des épreuves (pour le coup) officielles du calendrier, en l’occurrence les ATP 250 de Metz et de Nur-Sultan cette semaine. 

Pour cette dernière catégorie de tournois, qui souffre depuis longtemps pour attirer les meilleurs et tenir le choc financièrement, la concurrence devient quasiment déloyale. Dans le calendrier ATP, aucune épreuve du circuit principal n’est mise en concurrence avec un Grand Chelem ou un Masters 1 000. Pourquoi doit-elle l’être vis-à-vis de la Laver Cup qui attire un plateau tout aussi prestigieux, sans en avoir la stature ?

D’autant plus ubuesque quand on sait la Laver Cup a le soutien logistique non seulement de l’ATP, mais aussi de la Fédération australienne, organisatrice de l’Open d’Australie. On nage là en pleine dérive de l’absence d’une haute instance patronale du tennis mondial. 

C’est peut-être là-dessus que la Laver Cup, qui se jouera en 2022 dans l’O2 Arena de Londres, devra prioritairement se remettre en question, et peut-être revoir ses plans. En se mettant “hors calendrier”, en novembre ou décembre par exemple, elle appuierait d’autant plus fort sur sa principale qualité : celle d’avoir apporté un nouveau souffle, excitant et enthousiaste, à un circuit traditionnel un peu ronronnant, sinon parfois monotone.

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