La reprise, oui mais comment et pour jouer quoi ?

Joueurs et joueuses ont pour beaucoup passé au moins deux mois sans jouer, alors reprendre le chemin des courts d’enraînement a nécessité certaines adaptations. Et il en faudra encore dans l’optique du retour en compétition. Alizé Cornet (59e mondial) et le docteur Bernard Montalvan, directeur adjoint en charge du médical à la FFT, nous servent de guides.

Alizé Cornet - Long format Alizé Cornet – Long format

Joueurs et joueuses ont pour beaucoup passé au moins deux mois sans jouer, alors reprendre le chemin des courts d’enraînement a nécessité certaines adaptations. Et il en faudra encore dans l’optique du retour en compétition. Alizé Cornet (59e mondial) et le docteur Bernard Montalvan, directeur adjoint en charge du médical à la FFT, nous servent de guides pour analyser tout ça.

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir un court à disposition pour garder le contact avec la balle pendant le confinement. Tout le monde n’a pas non plus eu envie de tenter d’en trouver un. Et puis entre un joueur de 20 ans et un de 35, le temps passé en repos forcé n’a pas les mêmes conséquences. Alors quand joueurs et joueuses professionnels français ont pu reprendre le chemin des courts extérieurs à Roland-Garros et indoor au Centre National d’Entraînement (CNE), le Dr Montalvan explique le protocole drastique qui a été mis en place par la FFT avant même d’ouvrir les portes.

“On a demandé aux joueurs inscrits sur les listes de haut niveau de passer un bilan médical. Déjà pour avoir une prise de contact avec eux pour savoir comment ça s’était passé, s’ils avaient été malades, répondre à leurs questions. Ensuite il y avait un examen clinique afin de regarder si on pouvait avoir des suspicions de Covid. Puis ils faisaient un électro-cardiogramme de repos, parce qu’il y a des signes cardiaques qui peuvent donner une alerte quand on se remet à faire du sport niveau. Si on avait des suspicions de Covid, ils recevaient un bilan biologique et une échographie cardiaque. Il y en a même un qui a fait une IRM. Et s’ils n’avaient rien, on leur demandait toujours s’ils voulaient se faire tester : un test biologique (prise de sang) ou en test igM/igG qui a été validé par l’ARS (Agence Régionale de la Santé). Pratiquement tout le monde a dit oui.”

Dr Bernard Montalvan

“On a décidé assez vite de se faire guider par un collège médical d’experts”

Roland-Garros et le CNE étant situés en plein Paris, zone toujours rouge au moment de la reprise, aucun risque ne pouvait de toute manière être pris. Et puis la FFT va organiser une série de tournois d’été en juillet, avant d’accueillir le dernier tournoi du Grand Chelem de cette saison 2020 si spéciale. Autant roder tous les protocoles ! A l’image des gouvernements internationaux, la FFT s’est d’ailleurs elle aussi dotée d’un conseil scientifique, comme l’expliquer le Dr Montalvan.

“On a décidé assez vite de se faire guider par un collège médical d’experts : un scientifique spécialiste en infection, un spécialiste hygiène, un sociologue, un spécialiste statistique et des psychologues. Ils nous guident dans nos décisions sur ce qu’on peut faire ou pas. On essaie d’avoir une ressource scientifique en sachant que c’est très difficile parce que ça arrive que des gens se rétractent, qu’un jour on dise blanc et l’autre noir… C’est difficile de se faire une idée scientifique, dans un contexte anxiogène. On se repose beaucoup sur ce comité qu’on interroge toutes les semaines, et après on en tire nos lignes de conduite reprendre le tennis en véhiculant le moins possible le virus. On a mis tout ça sur le site de la Fédération Française de Tennis.”

Alizé Cornet a elle effectué sa reprise dans le sud de la France à l’académie Mouratoglou. Comme ses collègues de Paris, elle constate quelques changements dans le déroulement de ses journées d’entraînement mais finalement pas tant que ça. Elle commençait à trouver le temps long : “C’est devenu compliqué surtout vers la fin, dans la septième ou huitième semaine.” Alors la joie de s’entraîner de nouveau prend le dessus sur les mesures de sécurité. “On nous prend la température tous les jours quand on arrive, mais il n’y a pas eu de dépistage plus que ça. Mais on fait attention : tous les coaches ont des masques, la salle de gym est réservée seulement aux pro. Pour l’instant il n’y a pas l’air d’y avoir de soucis, ça se passe plutôt bien. Pour les soins, il y a une mise en place un peu particulière… C’est désinfecté… Je pense qu’on prend tous notre rythme par rapport à ça mais il n’y a rien d’insurmontable.”

Alors depuis le retour à l’entraînement, le principal reste de retrouver tout de même assez vite un niveau moyen en vue de la reprise du circuit. Cornet n’avait pas pu taper plus de deux fois pendant le confinement, avec notamment une tentative contre le mur du garage qui été sabordée par le voisinage. “Je me suis fait un peu incendiée, car ça résonnait dans la résidence donc ce n’était pas génial (rire).” Alors elle a rongé son frein, gardé la garage pour ses séances d’entraînement physique, et s’est ruée vers Biot dès que le mot reprise a été lancé.

“J’ai repris le chemin des courts dès que l’Académie Mouratoglou a rouvert, c’est-à-dire il y a plus trois semaines maintenant. J’ai repris à raison de trois ou quatre fois par semaine : je ne joue pas tous les jours parce que je n’ai pas envie de me griller non plus pour la saison, en plus on ne sait pas encore trop où on va aller. J’essaie de garder une certaine fraîcheur. Cela s’est bien passé. Les sensations étaient un peu cmpliquées au début mais c’est vite revenu. Physiquement, ça a été mais là je commence à avoir un tout petit peu mal à l’épaule mais je pense que c’est le corps qui s’habitue de nouveau à une dose d’entraînement un peu plus élevée. C’est vrai qu’avec les contraintes du tennis, surtout au niveau du haut du corps, c’est un peu plus compliqué quand on n’a pas tapé pendant deux mois. Mais d’ici un mois ça ira beaucoup mieux.”

Preuve que ces pro ont le tennis intégré à leur ADN, Cornet n’a pas eu trop de mal à retrouver ses sensations raquette en main. Après deux décennies passées à taper dans les balles, il y des choses qui ne se perdent plus. Mais même quand le corps est resté en forme et que la main reconnaît toujours l’outil, il y a des réglages qui prennent un peu plus de temps.

“J’avais tapé deux fois pendant le confinement donc ça ne pesait vraiment pas lourd. Mais en fait la reprise n’a pas été si bizarre que ça, j’avais l’impression d’avoir de bonnes sensations depuis le début. C’était juste un peu en termes de vision un petit peu : J’étais toujours un petit peu en retard et j’avais l’impression de ne pas voir aussi bien la balle que d’habitude. Mais encore une fois, c’est vite revenu et puis l’avantage que j’avais c’est que, comme j’avais réussi à bien me maintenir physiquement pendant tout le confinement, je n’avais pas l’impression d’être un veau marin sur le court ! (rire) J’étais plutôt bien sur les jambes, bien véloce, donc ça m’a rassuré et ça m’a permis de reprendre dans des meilleures conditions.”

C’est bien là une des clés de cette reprise de l’entraînement de haut niveau : faire attention à l’état de la machine. Montalvan met ainsi en garde contre la différence des profils et les conséquences qui en découlent. “Il y a trois types de joueurs : le joueur à qui le tennis ne manque pas trop ; les joueurs qui ont besoin de jouer au tennis et qui se sont débrouillés pour avoir des maisons avec des courts de tennis, pour jouer un peu avec des copains ou la famille. Ils ont joué assez régulièrement ; et puis il y a des joueurs à qui le tennis manque beaucoup : les joueurs un peu plus âgés, les plus de 35 ans pour qui c’est plus compliqué de reprendre quand on commence à faire moins de sport alors ils font de la gym. Mais pour eux la reprise est plus difficile.”

Alizé Cornet

Pour s’éviter les mauvaises surprises, Cornet s’est ainsi forcée à garder la discipline de l’entraînement physique. Au début, ce n’était pas forcément simple mais la Française a tourné le négatif en positif. “Je ne vais pas mentir, ça n’a pas été facile tous les jours mais en même temps c’’était salutaire : je me suis répétée tout le confinement que la reprise serait plus facile si j’arrivais à me maintenir en forme. En fait, c’est devenu un plaisir ! Je faisais mon heure ou mon heure et demie de sport tous les jours, je descendais dans mon garage. C’était devenu un petit rendez-vous, je savais que je me faisais du bien.”

L’entourage compte aussi beaucoup dans cette période floue où de mauvaises conditions de reprise pourraient signifier de vraiment passer à côté de la fin de saison. Cornet et son équipe ont joué le principe de précaution à fond.

“Mon kiné me suit beaucoup. On avait parlé pendant le confinement et il m’avait dit qu’il allait vraiment falloir faire attention à la reprise, qu’on surveille bien les articulations et tout ce qui est vraiment sollicité et spécifique au tennis. On n’a pas réussi à tout éviter, parce que mon épaule qui me tire un peu, mais dans l’ensemble je pense que la reprise progressive a été bien faite. On a aussi repris le renforcement avec mon préparateur physique. J’ai une bonne équipe de moi qui me remet sur son pied. Mon entraîneur n’est pas là, elle est toujours en Pologne donc je m’entraîne toute seule avec des sparring, mon copain ou des potes. Je me gère, c’est très bien comme ça.”

Le Dr Montalvan n’a eu qu’un seul cas positif au Covid-19 sur toutes celles et ceux testés. “Beaucoup nous disaient qu’ils l’avaient eu mais on a trouvé qu’un seul cas ! (rire). Il va très bien, mais on lui a quand même fait un bilan complet. Mais c’est un peu normal, on est tous dans une ambiance où on est à la recherche de nos sensations si on a un petit frisson ou un peu mal à la gorge…” Si les troupes étaient en ordre de marche au moment de la reprise de l’entraînement, le but est évidemment qu’elles le restent. Quelques cas dans un monde qui vit en vase close comme le tennis, et ce serait potentiellement la survenue d’un cluster. Un cluster, qui a des équipes et des familles, et qui entend voyager sur le circuit. Un cluster qui pourrait donc sur un vilain concours de circonstances imposer la quarantaine des joueurs ou joueuses ainsi que la fermeture des installations. Hors de question, alors à Roland-Garros on a mis en place des règles strictes, comme le détaille le Dr Montalvan.

“Le masque est obligatoire en-dehors du terrain, parce qu’ils croisent des entraîneurs, d’autres personnes, les kiné, la salariés de la fédération. On rend le masque obligatoire à partir du moment où on bouge en-dehors du terrain. Les kiné de la fédération sont testés, les entraîneurs des joueurs aussi, tout comme les entraîneurs physique. On a testé tout l’entourage, sur base de volontariat. Pour les soins, on espace les rendez-vous afin de réserver dix minutes pour nettoyer et aérer entre chaque patient. Les kinés ont des masques, les joueurs qui viennent se faire masser aussi. Et puis, bien entendu, il y a du gel. Le masque et la distanciation d’un mètre restent la meilleure barrière, avec les lunettes, pour ne pas attraper le virus. On sait aussi qu’on peut être porteur sain. Ce virus est toujours amené par quelqu’un. Notre but, c’est de protéger tout le monde et au final ce sont des choses de base, quasiment évidentes, mais qui avant ne sautaient pas aux yeux.”

Des procédés évidents, mais le médecin n’est pas naïf : il sait bien que les joueurs risquent d’avoir du mal à s’approprier des mesures qui sont à l’opposé de leurs habitudes du circuit.

“Cela va être difficile à cause de la vie du joueur de tennis : ils sont les uns sur les autres dans les vestiaires… Ce sont des nomades… Ils se déplacent en bande, ils sont toujours en contact les uns avec les autres. A Roland-Garros, on sait que lorsqu’il y en a un qui a la diarrhée, vingt-cinq l’auront aussi. Notre rôle sanitaire est de donner l’information de respecter les gestes barrières. C’est difficile, car au tennis les gens sont là pour s’amuser : c’est la distraction et on en manque tous en ce moment. Mais d’un autre côté, les règles de base, la distanciation physique, les barrières, les outils-barrière, la désinfection, les dispositifs santé si jamais il y a un problème, et l’informatiton : tout ça reste la règle à suivre. Ce sont des jeunes, un peu chiens-fous, on n’est pas dupe, mais j’ai trouvé que les joueurs professionnels étaient assez sereins. Un joueur de tennis est assez mûr assez tôt. Ils connaissent les dangers, sont très responsables et bien entourés.”

Alors qu’on en est qu’au début finalement de la remise en route des professionnels de la balle jaune, on voit bien qu’il est compliqué de nourrir beaucoup de certitudes sur l’évolution de la situation. Des protocoles différents d’une région à l’autre, d’un tournoi à l’autre, d’un pays à l’autre. Et la nécessité pour tous ces joueurs et ces joueuses de continuer dans des conditions d’entraînement les plus normales possibles (kiné, physio, plusieurs séances tennis et physique) sous peine de voir surgir les blessures. Hors mine de rien le temps presse, entre la tournée d’été de juillet en France puis la reprise des circuits ATP, WTA et ITF début août avec cet US Open que l’USTA et le gouverneur de New York ont décidé de maintenir coûte que coûte (31 août – 13 septembre).

US Open : “Rien n’est clair, ça ne met pas tellement en confiance”

Avec Alizé Cornet, on a l’exemple parfait de ce qui va se jouer au niveau des joueurs et des joueuses : y aller ou ne pas y aller… La Française pèse en ce moment le pour et le contre, sans trop savoir sur quel pied danser. “A mon âge même si j’adore le jeu et que j’ai la passion du tennis, jouer pour jouer n’est pas mon objectif prioritaire après vingt ans dans le tennis : je joue pour faire de la compétition. J’ai hâte que ça reprenne pour avoir une sorte d’objectif et un peu plus de motivation.” La tournée en France cet été est une première “petite carotte”, mais c’est la tournée américaine évidemment qui concentre les doutes de Cornet.

“Rien n’est clair, ça ne met pas tellement en confiance. J’étais hyper motivée pour reprendre aux Etats-Unis, de me dire qu’on allait reprendre à l’US Open, en pensant aux points et à l’argent aussi, pour moi c’était génial. Mais vu comment ça se présente et comment c’est fait, je suis en train de déchanter progressivement. Je me demande si ça n’est pas mieux de reprendre dans de bonnes conditions en Europe, quitte à sacrifier encore un tournoi du Grand Chelem. Je suis en train de retourner ma veste. J’ai tellement envie de jouer, que je suis prête à partir toute seule s’il le faut : rien ne m’arrêtera ! En ce qui concerne les conditions sanitaires, je ne me fais aucun souci car les Américains sont assez sérieux là-dessus. C’est juste que j’ai l’impression qu’il y a une sorte de forcing qui est fait… Après c’est peut-être la manière dont la WTA nous communique ça mais j’ai l’impression que tout est vraiment compliqué. Jouer sans public, toute seule sur mon court, sans coach, sans rien : je m’en moque, je veux juste jouer ! (rire) Mais là ils nous parlent de nous tester tous les trois jours, c’est dingue… Je ne sais pas si le jeu en vaut la chandelle.”

A Roland-Garros, on étudie en ce moment aussi le protocole de tests à mettre en place pendant le tournoi du Grand Chelem. Le Dr Montalvan affirme que pour le moment aucune décision n’a été prise. “C’est une question qu’on est en train de poser au collège scientifique. On est en contact avec l’US Open, avec leur service médical : il faut qu’on soit cohérent par rapport au circuit. On est dans la phase de réflexion. C’est difficile, mais la sécurité c’est important dans la stabilité. Il faut que nos procédures soient claires et scientifiquement justifiées.”

Alizé Cornet

Il n’y aura sans doute pas que la science qui servira aux joueurs et aux joueuses à prendre leurs décisions : il y aura aussi le besoin ou pas d’encaisser les chèques. Cornet n’élude pas le sujet : évidemment que le prize money de l’US Open fait partie des sources de motivation de ces collègues du circuit.

“Oui, mais après c’est toujours pareil, les Top 10 n’en ont pas besoin… J’ai l’impression qu’ils sont un peu tous contre et veulent reprendre dans des bonnes conditions. Mais il faut penser à tous ces autres joueurs qui galèrent un peu plus et ont besoin de ces revenus. Deux poids, deux mesures : je ne sais pas où est le bon curseur là on est un peu en situation de crise donc il faut penser à ceux qui sont en galère.”

Mais l’intégrité physique pourrait peser aussi grandement dans la balance. Selon le stade de la carrière, la prise de risques semblera minime ou importante. “C’est ça aussi qui me déchire”, admet Alizé Cornet. “On aurait quand même Madrid (12-20 septembre) la semaine après l’US Open. L’enchaînement est d’une violence extrême. On va tous se casser en deux : on passe d’un continent à l’autre, d’une surface à l’autre en moins d’une semaine ! Il suffit qu’on passe trois ou quatre tours à l’US Open et c’est terminé. J’ai vraiment l’impression que c’est nous envoyer un peu à l’abattoir.

Entre renouer avec l’entraînement et renouer avec la compétition, il y a encore tout un monde inconnu que joueurs, joueuses, staff et experts médicaux vont sans doute découvrir sur le tas. Et donc encore beaucoup de décisions à prendre pour chacun sur les risques à prendre ou pas…

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