GIFS : crise de nerfs entre les fans, les tournois et les twittos

Les fans étaient consternés quand on leur a interdit de créer ou partager des gifs de Roland-Garros 2020. Les tournois sont au cœur de cette polémique.

Rafael Nadal, Rolex Paris Masters Rafael Nadal, Rolex Paris Masters

Il y a quelques mois, s’il avait voulu mettre en valeur la couverture de terrain de Wawrinka, le compte Twitter @AnnaK_4ever aurait publié un GIF. L’autre jour, il a plutôt publié quatre captures d’écran. Moins spectaculaire mais plus prudent. Depuis Roland-Garros, les Gifs – Graphics Interchange Format, petits clips vidéo animés de quelques secondes – sont devenus un gros point de tension entre les organisateurs de compétition et ce qu’il faut appeler “les fans”.

 

En septembre, la Fédération française de tennis (FFT), qui organise Roland-Garros, a interdit aux fans de créer des gifs du tournoi et demandé le retrait des comptes se livrant à cette activité sur les réseaux sociaux. Colère sur la toile. Pour beaucoup d’internautes – notamment ceux qui travaillent pendant les matches -, suivre les réseaux sociaux et se voir proposer certains des moments les plus drôles et/ou marquants via des gifs est la façon la plus intuitive de ne “rien” rater.

L’enquête 2020 de PwC, un cabinet d’audit, sur le futur du sport a mis en évidence l’importance des gifs. De grands dirigeants de l’industrie ont été interrogés sur les leviers de croissance du sport à l’écran : 90,5 % d’entre eux considèrent que les highlights ou les formats courts vont se développer de manière significative.

L’ATP et la WTA créent eux-mêmes des gifs à partir des images des tournois, en les diffusant parallèlement aux clips vidéo plus traditionnels de points ou de présentation de trophées. Certains diffuseurs télé font la même chose. Mais ils ne regardent pas les images avec le même œil que les fans, plus attachés à la culture du meme, c’est-à-dire au regard bizarre, à l’attitude drôle, à l’accident de jeu spectaculaire.

Attirer de nouveaux fans par les gifs

Créer un bon gif ne va pas de soi, mais il est gratifiant s’il suscite beaucoup d’engagement, en particulier lorsque les gens sont attirés par le tennis grâce aux gifs.

“Je ne pense pas que parler ou tweeter exclusivement des coups droits recouverts et des revers chopés aidera le tennis à élargir son public”, nous écrit Oleg S., un utilisateur de Twitter (@AnnaK_4ever) vivant en Russie qui crée des gifs et compte près de 5 000 adeptes.

Oleg S. Twitter account

“Je veux dire que nous aimons tous les beaux coups et que nous faisons des gifs dessus, mais le sport, c’est beaucoup plus que ça. Beaucoup de matches joués sans spectateurs à l’ère du COVID sont difficiles à suivre. Vous avez besoin de cette énergie et de ces émotions. Les coups de tennis, c’est une petite partie du tout.”

“L’année dernière, j’ai posté environ 500 gifs de Roland-Garros. Il n’y a pas eu de problèmes, pas de questions.”

Répression massive pendant Roland-Garros

Alex, qui vit également en Russie, est un fan de sport depuis son enfance. Il a commencé à tenir en avril 2016 l’une des pages compilant des gifs de tennis les plus populaires des réseaux sociaux. Il affirme avoir toujours été conscient que certains détenteurs de droits n’étaient pas prêts à accepter des gifs sur leurs événements, et que dans ce cas, il s’est toujours abstenu.

Dans le passé, lui et Oleg ont déjà été contactés pour retirer leurs gifs des réseaux sociaux, et ils ont également reçu des avis de retrait – lorsqu’un détenteur de droits fait une réclamation formelle sur les images utilisées.

Avec Roland-Garros, cette démarche a atteint un niveau sans précédent. Les créateurs de gifs ont reçu l’ordre de retirer leurs images des réseaux sociaux et ont été informés qu’ils violaient les droits des diffuseurs qui avaient payé pour diffuser le tournoi sur leurs chaînes de télévision et les plateformes en ligne. La FFT, organisatrice du tournoi, s’en explique.

“Les gifs sont des images animées et font partie intégrante des droits acquis (par les diffuseurs). Pour préserver l’exclusivité des droits qui leur sont accordés, nous faisons appel à un prestataire de services qui agit en notre nom en cas de contrefaçon et qui a ainsi retiré 150 images animées de matches de cette édition.”

Bernard Giudicelli, FFT chairman, and Guy Forget, Roland-Garros director

Le terme “contrefaçon” veut dire ce qu’il veut dire, et s’applique aussi à une brève image de quelques secondes. Lourdement connoté sur le plan juridique, il explique en bonne partie que les producteurs de gifs que nous avons contactés soient réticents à débrider leur parole et à raconter leur vie.

C’est que le sport et les écrans relèvent d’un énorme business. Obtenir les droits de diffusion d’un Grand Chelem dans un seul pays peut coûter des dizaines de millions d’euros. Sportcal estime que pour diffuser l’Open d’Australie en Australie, le Seven Network a payé environ 30 millions de dollars pour quatre ans, de 2015 à 2019. La BBC a payé bien davantage pour devenir le diffuseur principal de Wimbledon de 2018 à 2020 : 93 millions de dollars.

La probabilité que les radiodiffuseurs poursuivent directement les auteurs des gifs en justice semble assez faible. Le rapport coût-bénéfice semble ne pas en valoir la peine et il y a beaucoup à perdre en termes d’image, comme l’a constaté la FFT pendant Roland-Garros. Mais le risque existe forcément quand on s’attaque au cœur du modèle économique du sport de haut niveau.

“La crainte des organisateurs est qu’à l’ère du contenu généré par les utilisateurs, ces contenus sauvages vident une partie du produit vendu de sa substance et au bout du compte, leur image de professionnels”, nous explique le professeur David Rowe de l’université de Western Sydney en Australie, expert en sport et en radiodiffusion.

“Si vous n’avez pas de fans, il n’y a pas de sport”

Le professeur Rowe suggère cependant que les comptes de fans permettent de faire connaître le tennis à un public plus large – qui va au-delà des téléspectateurs payants – et qu’ils rapprochent également les fans des sportifs, dont beaucoup apprécient d’ailleurs ce que les gifs donnent à voir de leurs performances.

“Les fans font cela parce qu’ils aiment ce sport, qu’ils veulent en parler, partager des moment drôles ou des informations plus sérieuses – c’est la force vitale du sport”, explique le professeur Rowe. “Si vous n’avez pas de fans, il n’y a pas de sport.”

“J’aime beaucoup les gifs de tennis et c’est un bon moyen de promouvoir ce sport sur les réseaux sociaux”, déclare Lisa, une fan de tennis parisienne qui a été déçue par la décision de la FFT d’empêcher les fans de partager des gifs non officiels.

“C’est aussi un bon moyen de partager notre passion pour le tennis afin que nous nous sentions plus proches de l’action. Les gifs nous maintiennent dans l’événement, il y a de tout : hot shot, célébrations, réactions, moments drôles. Même les joueurs les apprécient beaucoup.”


Elle s’interroge sur l’intérêt de la FFT à long terme si elle entreprend de raréfier la présence de ses “produits” – Roland-Garros et le Rolex Paris Masters – sur le long terme.

“Le but des gifs n’est pas d’enfreindre le droit d’auteur, dit-elle. Il est de mettre le sport en valeur.

Oleg S. y voit la façon la plus pertinente, sur ces plate-formes, de live-tweeter des matches.

“Dans certains cas, il était plus facile de montrer avec un gif ce qui se passait sur le terrain plutôt que d’essayer de le faire tenir en 140 ou 280 caractères. Ce qui m’intéresse le plus, c’est quand les joueurs n’arrivent pas à se maîtriser – ce sont des personnes normales, avec leurs émotions, et pas seulement des robots qui sont censés courir et frapper dans une balle. C’est ce côté émotionnel, humain – pour le meilleur ou pour le pire – qui les rend racontables.”

Rien ne dit que ces bonnes intentions pour desserrer l’étreinte. Il y a deux ans, ses gifs de Roland-Garros ont été retirés du compte Twitter d’Alex, mais restaurés après qu’il a défendu sa cause auprès de Twitter. Cette année, il a juré qu’il ne ferait plus de gifs ni ne publierait quoi que ce soit sur son compte tant qu’il n’aurait pas récupéré ses créations.

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