Djokovic – Alcaraz, à la conquête de la marge infime

La seule fois où ils se sont rencontrés, Novak Djokovic et Carlos Alcaraz se sont départagés d’un cheveu (6-7, 7-5, 7-6, Madrid 2022). La question des armes qu’ils doivent employer pour l’emporter lors de leur demi-finale à Roland-Garros reste grande ouverte.

Novak Djokovic and Carlos Alcaraz, 2023 Novak Djokovic et Carlos Alcaraz, 2023 | © Panoramic / Tennis Majors
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Si un scénariste avait voulu écrire cette histoire, il aurait été banni pour fantaisiste débridé. Par un jeu de circonstances invraisemblables, les deux meilleurs joueurs de tennis du monde, Carlo Alcaraz et Novak Djokovic se sont évités depuis plus d’un an. Ils ont rempoté à eux deux les trois derniers Grands Chelems, le Masters et se sont échangés la première place à l’ATP depuis septembre 2022. Mais ce Roland-Garros 2023 est seulement le deuxième tableau dans lequel il ont partagé l’affiche depuis le Rolex Paris Masters d’octobre 2022.

Alcaraz – Djokovic en demi-finale de Roland-Garros, c’est aussi excitant qu’inconnu. La seule rencontre qu’ils ont disputée l’un contre l’autre a eu lieu il y a treize mois à Madrid (en demi-finale aussi) et cela resemble à une éternité. Entre le Carlos Alcaraz alors toujours adolescent et le monstre d’autorité qui a écrasé Stefanos Tsitsipas en quart de finale, il y a une classe d’écart. Entre le Djokovic qui allait perdre son titre à Roland-Garros, il y a certes trois trophées majeurs en plus, mais surtout un âge, 36 ans qui, désormais, fait grincer son corps et place le Serbe en position d’outsider.

6-7, 7-5, 7-6 en 3h26 pour Alcaraz

On a envie d’un sommet de tennis, on a le droit de l’espérer, mais comme à Madrid en 2022 (6-7, 7-5, 7-6 en 3h26 pour Alcaraz), ce devrait être un énorme combat physique et mental. Les deux camps ont préparé le terrain. Juan Carlos Ferrero, le coach d’Alcaraz, en rappelant sans la moindre gêne  — dans la foulée des mots de son poulain à Miami – la conviction profonde d’Alcaraz qu’il pouvait écarter le recordman du nombre de Grands Chelems. Djokovic, en annonçant qu’il était prêt à disputer un marathon jusqu’à la dernière goutte de sueur.

Pour aller dans ces extrêmes où la tête et les jambes décident des derniers points plus certainement que l’intelligence tactique, la question du rapport de force tennistique entre les deux hommes reste ouverte. Djokovic et Alcaraz ont été d’une discrétion absolue sur leurs options tactiques respectives. Aussi faut-il lire dans leurs deniers matches à Paris et dans les données de leur demi-finale à Madrid les élément susceptibles d’orienter le contenu du match.

La question du juste niveau d’agressivité sera la première proposée aux deux hommes, comme en 2022. L’Espagnol avait estimé que la persistance de son esprit d’entreprise avait été la clé de la rencontre. La façon dont Alcaraz, lors de ce Roland 2023, a saoulé de coups ses précédents adversaires à la première ouverture pose deux questions à Novak Djokovic.

Djokovic – Alcaraz, nouveau duel suprême sur terre

D’abord celle de sa capacité à redevenir le meilleur contreur du monde et à être au sommet de ses aptitudes défensives afin de minimiser les balles d’attaque offertes à Alcaraz. L’Espagnol est vulnérable quand on lui prend du temps et qu’il est en quelque sorte en situation de surjouer, comme Jannik Sinner parvient à le montrer régulièrement. Ne pas reculer pour ne pas s’offrir aux amortis est une autre nécessité pour le Serbe, contraint de fait à être le premier attaquant afin de ne pas laisser l’Espagnol prendre confiance dans une bataille de puncheurs qu’il aurait plus de chances de gagner.

Cette question est d’autant plus importante que depuis le forfait de Nadal, Alcaraz – Djokovic est en quelque sorte le duel suprême sur terre battue. Dans ce Roland-Garro 2023, les deux hommes trônent au sommet du classement des points gagnés après des échanges de fond de court sans montée au filets, avec 56% pour Alcaraz et 55% pour Djokovic. Celui qui passera sous ce ratio sera le perdant, sauf si le match se transforme de façon invraisemblable en ruée vers le filet (77% de points gagnés pour Djokovic depuis l’ouverture, 67% pour Alcaraz).

Novak Djokovic, Roland-Garros 2023
Novak Djokovic, à Roland-Garros en 2023 (AI / Reuters / Panoramic)

Les premiers coups de raquette

En 2022, le niveau d’agressivité de Djokovic avait été relativement moyen pendant l’essentiel de la rencontre avant de croître considérablement au troisième set, obligeant Alcaraz à défendre slicé. Mais la durée du match avait fini par avoir raison de cette hardiesse. A mesure que la longueur de balle de Djokovic se dégradait, Alcaraz a pu rentrer davantage dans le court, mettre beaucoup de pression sur le service adverse et faire basculer le tie-break.

Cette question de la juste agressivité suppose qu’aucun des deux hommes ne lâche trop de terrain dès l’entrée de point. Entre un joueur dont le service n’est pas encore le point fort, surtout en deuxième balle (Alcaraz) et le meilleur relanceur de tous les temps (Djokovic), le Serbe joue gros, d’autant qu’Alcaraz a su poser des estocades dès les premiers coups lors de ce Roland-Garros 2023. Il a gagné 52% de ses jeux de retours (contre 39% pour Djokovic), 46% des points sur première balle adverse (42% pour Djokovic) et 59% sur deuxième balle (55% pour Djokovic). Cette demi-finale est un de ces matches où Djokovic aura obligation de montrer qu’il est un serveur sous-estimé.

A Madrid enfin, Alcaraz avait pris le parti de bombarder le revers de Djokovic là où le Serbe avait énormément varié, notamment en seconde, afin de créer de l’incertitude. Cela avait failli payer, avec une très nette dégradation des stats de l’Espagnol au retour au début du troisième set. Avoir stabilisé sa position en retour – 2,5 mètres derrière la ligne en première balle, quelques centimètres à l’intérieur en deuxième – l’a finalement aidé à conquérir le match tandis que, de son côté, Djokovic avait dû reconnaître n’avoir jamais vraiment pu dompter le service kické extérieur d’Alcaraz.

Carlos Alcaraz, Roland-Garros 2023
Carlos Alcaraz, Roland-Garros 2023 – © AI / Reuters / Panoramic

Le tennis en zone inconnue

L’analyse des échanges de leur duel madrilène trahit moins les schémas de jeux sur lesquels ils peuvent s’appuyer l’un contre l’autre que leur recherche mutuelle d’adaptation à un adversaire exceptionnel à tous les sens du terme.

Alcaraz et Djokovic tiennent, ce vendredi, l’une des ces occasions rares de repousser leurs limites. Alcaraz a davantage d’atouts tennistiques dans sa manche aujourd’hui, et un corps qui semble en situation de le porter plus loin. Mais la signature de Djokovic depuis cinq ans consiste, quasiment quel que soit le contexte, à trouver la solution à tous ses problèmes en Grand Chelem, quelle que soit leur nature. Mais autre chose a changé depuis 2022 : Alcaraz est devenu excellent dans cet « autre sport » quand le tennis se joue en cinq sets.

Si aucun des deux n’impose son autorité en trois sets, Alcaraz et Djokovic peuvent amener le tennis en zone inconnue, comme le Serbe l’avait fait contre Nadal en demi-finale en 2021 ou Alcaraz en quart de finale de l’US Open 2022 contre Sinner. Prêts pour l’exploration !

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