Ferrero et Alcaraz ne sont plus « la même personne »
Directeur de Tennis Majors, Cédric Rouquette chronique l’actualité du circuit en miroir de ses écrits dans le livre « TENNIS » (éditions E/P/A) sur sa page LinkedIn. Ces articles sont reproduits ici.
Juan Carlos Ferrero dans le livre « Tennis » | © Tennis Majors
La fin de la collaboration entre Carlos Alcaraz et Juan Carlos Ferrero a pris tout le monde de cours ce mercredi. Elle rappelle la décision de Roger Federer, fin 2004, de se séparer de Peter Lundgren peu après son premier Wimbledon et juste avant de devenir numéro un mondial. Le Suisse avait plutôt bien géré la suite…
Dans le cas d’Alcaraz, l’ampleur du choc reste supérieure. Comme je le souligne dans le livre TENNIS, en vente dans toutes les bonnes librairies, Ferrero a réussi à prendre trois ans d’avance sur les coaches de Federer dans un paramètre crucial : la « shot selection ». Cette capacité à jouer le bon coup au bon moment, indispensable compétence qui permet aux grands techniciens d’avoir une vision claire et efficace de leur tennis.
En façonnant Alcaraz depuis l’adolescence jusqu’au sommet, Ferrero a gagné sa place, dans mon livre, comme l’un des dix entraîneurs ayant révolutionné ce sport.
Désaccords sur Netflix
Tandis que nous cherchions hier les raisons de cette décision en apparence subie par le coach, les désaccords explicités en mai dans le documentaire Netflix « A mi manera » ont refait surface. Ils portaient sur le rythme du calendrier, entre la ligne Alcaraz, de nécessaires périodes de repos, voire de jouissance, et la ligne Ferrero, celle d’un dévouement total au tennis.
En mars 2023, j’avais rencontré Ferrero à Miami pour un entretien d’une heure. Je lui avais demandé de détailler sa relation avec « Carlitos », qui n’avait alors qu’un titre du Grand Chelem. Je pense sincèrement que Ferrero a accordé peu d’entretiens de ce type et que c’est l’un des documents les plus intéressants sur leur relation.
Tout en étant sceptique sur le sens réel de sa réponse, j’avais titré : « Carlos et moi, c’est presque la même personne maintenant. »
Ferrero : « On se regarde et ça suffit »
Il avait exactement répondu, à une question sur la date de leur pleine complicité : « La confiance était là dès le début. On a senti d’emblée une connexion incroyable. Au bout d’un an, on est devenus quasiment la même personne. On pense de la même façon sur un court. Il y a des tas de choses que je n’ai plus besoin de dire, on se regarde et ça suffit. »
Ferrero avait aussi eu du mal, trouvai-je, à m’éclairer sur la gestion de leurs désaccords. Tout en étant très heureux d’avoir pu proposer un entretien de cette profondeur aux lecteurs de Tennis Majors, je me rappelle avoir trouvé le puzzle inachevé : comment peut-on prétendre « être » son joueur ? Et pourquoi moins de « répondant » sur la question des litiges ?
Aujourd’hui, alors que ce duo exceptionnel explose, conçu par l’agent d’Alcaraz Albert Molina, ces souvenirs ressurgissent.
Je pressens que la rupture prend racine dans ces deux sensations diffuses. Alcaraz et Ferrero ont accompli des choses phénoménales, mais ils n’étaient pas la même personne et ne pouvaient pas être d’accord sur tout.
Le coup de tonnerre de mercredi nous l’a rappelé brutalement.