“Je veux avoir un impact sur le monde” – Interview exclusive de Francesca Jones

Née avec un pathologie génétique, Francesca Jones n’a que huit doigts et sept orteils. Ses médecins lui ont dit qu’elle n’arriverait jamais à être joueuse de tennis professionnelle. Début 2021, à 20 ans, elle s’est qualifiée pour l’Open d’Australie, le premier Grand Chelem de sa carrière, et ce n’est qu’un début comme elle l’a confié à Tennis Majors.

Francesca Jones Francesca Jones

Francesca Jones n’est pas une joueuse de tennis normale et ordinaire. À 20 ans, elle fait tout juste ses débuts sur le circuit professionnel et fera ses premiers pas en Grand Chelem à l’Open d’Australie, après s’être extirpée des qualifications délocalisées à Dubaï mi-janvier, en battant notamment Monica Nicolescu, 53e mondiale.

Si la Britannique a beaucoup fait parler d’elle, ce n’est pas seulement pour sa qualification pour le premier Grand Chelem de l’année, c’est aussi et surtout pour son histoire très particulière.

Une joueuse pas comme les autres

Francesca Jones est née avec une pathologie génétique, le syndrome d’ectrodactylie-dysplasie ectodermique-fente labiopalatine (syndrome EEC). Elle n’a que trois orteils au pied droit, quatre au gauche, et quatre doigts à chaque main. Lorsqu’elle était enfant, les médecins lui ont dit qu’elle n’arriverait jamais à jouer au tennis à haut niveau, son corps n’étant pas taillé pour le sport professionnel. Mais Jones a toujours cru qu’elle pouvait réussir et la voilà 244e mondiale début 2021, avec l’ambition de réaliser de grandes choses.

“Je ne veux pas être un numéro mondiale”, a déclaré la Britannique lors d’une interview accordée à Tennis Majors, réalisée par Zoom depuis son hôtel de Melbourne, où, comme toutes les joueurs et joueuses qui vont disputer l’Open d’Australie, elle a passé 14 jours en quarantaine, avec l’autorisation de sortir de sa chambre cinq heures par jour pour s’entraîner. “Je veux avoir un impact sur le monde et je veux donner quelque chose. Je ne suis pas en recherche de gloire, mais je veux simplement rendre quelque chose au monde. Et pour ça, je suppose qu’il faut réaliser quelque chose que beaucoup considèrent comme formidable.”.

Être une jeune joueuse à fort potentiel en Grande-Bretagne peut être à double tranchant. Le financement de la Lawn Tennis Association (Fédération britannique de tennis) peut être d’une grande aide mais la grande attente autour des joueurs locaux à Wimbledon peut vite être étouffante. Francesca Jones s’est installée à Barcelone à l’âge de neuf ans pour s’entraîner à l’Académie de tennis Sanchez Casal, puis à l’Académie de tennis Ad-In à 16 ans, où elle a rencontré son entraîneur actuel, Andreu Guilera. Le fait de vivre en Espagne a quelque peu éloigné la Britannique de la lumière médiatique, mais elle semble avoir les épaules pour faire face aux attentes, après avoir surmonté avec succès ses difficultés sur le plan physique.

Francesca Jones

Curran: “Je ne lui fixerai aucune limite”

Claire Curran, ancienne joueuse du top 100 en double, supervise le développement de Jones dans le cadre du programme mis en place par Fédération britannique de tennis pour les jeunes les plus prometteurs âgés de 16 à 24 ans. L’entraîneur nationale de la LTA a vu Jones se transformer, passant d’une jeune adolescente à fort potentiel à une jeune femme qui, selon elle, peut faire de grandes choses dans le sport.

“On ne peut pas s’empêcher de vouloir travailler dur pour elle parce qu’elle est tellement déterminée”, a déclaré Claire Curran à Tennis Majors. “C’est donc vraiment génial de voir… ce genre de résultats. Mais ça ne me surprend pas… cette enfant est différente.”

“Je pense qu’elle absorbe les choses très, très rapidement. Je ne lui fixerais pas de limites. Une des premières choses qu’elle m’ait dites est “ce n’est que le début, Claire”. Je me concentre davantage sur le fait qu’elle doit devenir plus forte physiquement, elle doit améliorer des aspects de son jeu qui sont déjà ses points forts. Elle frappe déjà très fort, mais elle doit améliorer certains aspects pour que son jeu soit le plus efficace possible, donc en y ajoutant beaucoup de variété. Le mouvement et les aspects physiques sont très importants pour elle parce que le tennis est un sport très physique. Je suis très enthousiaste pour elle parce que je suis consciente qu’elle pourrait encore améliorer beaucoup de choses. Si elle peut améliorer ces choses, si elle peut rester en forme et en bonne santé et si elle peut continuer à s’entraîner et à aimer ce travail tous les jours, comme elle l’a fait, alors elle continuera à aller de l’avant”.

Une bonne éducation

Né à Bradford, dans l’ouest du Yorkshire, Francesca Jones a un fort caractère et un comportement très calme. Fille de deux conseillers financiers, Jones a été élevée pour travailler dur dans tous les aspects de sa vie, à l’école et également en dehors. Ses parents l’ont encouragée à avoir de nombreux centres d’intérêt en dehors du tennis, et la jeune femme de 20 ans peut autant discuter de politique et d’affaires que de Manchester United, son équipe de football préférée. Elle a même créé une entreprise l’année dernière.

“Pendant l’arrêt du circuit (au printemps 2020), je me suis associée avec un de mes amis et nous vendions des EPI (équipements de protection individuelle, pour lutter contre le Coronavirus). Nous vendions également du gel hydroalcoolique. Pour être honnête, j’ai bien aimé l’aspect commercial. J’ai beaucoup de centres d’intérêt. Je suis très gourmande. La musique a vraiment joué un rôle important dans mon enfance. Mon grand-père était un musicien qui jouait du jazz. Ma mère avait l’habitude de me faire écouter ses vinyles et elle en faisait la collection. Je jouais de la guitare et de la batterie. J’aime bien suivre l’actualité, savoir ce qu’il se passe dans le monde et je m’intéresse à l’économie. Je suppose que cela vient de mes parents, qui sont très orientés vers les affaires. Quand j’étais enfant, j’avais l’habitude de m’asseoir à la table pour dîner et ils parlaient toujours du marché financier, de leurs clients, des investissements. Je pense que c’est presque ancré en moi maintenant”.

“Les gens sont accros aux réseaux sociaux, c’est frustrant”

Ses parents l’ont également encouragée à être active et à ne pas consacrer trop de temps aux réseaux sociaux. Alors que de nombreux jeunes joueurs sont actifs sur les réseaux, Jones y est à peine présente. Compte tenu du nombre de menaces que reçoivent les athlètes professionnels, en particulier de la part des parieurs, ce n’est pas une mauvaise chose que la Britannique soit loin de tout cela.

“Ma mère m’a toujours tenu à l’écart des réseaux sociaux jusqu’à l’âge de 14 ou 15 ans”, a déclaré Fran Jones. “Et puis je suppose qu’elle a réalisé que c’était une chose normale dans la société d’aujourd’hui, surtout pour les gens de mon âge. J’ai donc créé un compte Instagram quand j’avais environ 15 ans. J’y suis restée quelques années, mais… ça m’a vraiment frustrée. Quand j’étais plus jeune, mes parents m’emmenaient dîner et déjeuner avec leurs clients ou avec leurs amis, et je m’asseyais là et j’apprenais à me socialiser. Aujourd’hui, quand je vais dans un restaurant, la plupart des enfants ont un iPad collé devant eux. C’est dommage.”

 

 

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“Une de mes meilleures amies n’arrête pas de me dire qu’elle en a marre de voir mon téléphone. Mon téléphone, je le laisse tomber au moins trois fois par jour, il fonctionne tout seul la plupart du temps. Bien sûr, grâce à la technologie nous pouvons faire de grandes choses. Mais je pense qu’en ce qui concerne les réseaux sociaux, trop de gens sont accros, ils vivent dans un monde parallèle et ne vivent pas vraiment leur vie. Cela me frustre. Bien sûr, les réseaux sociaux ont une place dans notre société, mais je pense juste que les gens d’aujourd’hui y sont trop présent.”

Un entraînement différent

À cause de son syndrome, Fran Jones doit s’entraîner d’une manière particulière, comme elle l’a expliqué aux journalistes après s’être qualifiée pour l’Open d’Australie :

“Mes pieds fonctionnent d’une manière différente. Cela signifie que je cours différemment et que mon équilibre avec à mes pieds et mes orteils se fait d’une manière différente.”

Mais bien que la native de Bradford ait prouvé toute sa vie que les gens se trompent sur elle, elle regarde la vie d’une manière plus positive et espère montrer aux gens qu’ils “peuvent” faire tout ce qu’ils veulent.

Dans les prochaines semaines, Jones va côtoyer toutes les stars du tennis, une nouvelle expérience pour elle, même si elle a été habituée à en voir certaines pendant son séjour à Barcelone, partageant les courts d’entraînement avec Maria Sakkari et Carla Suarez Navarro, tout en passant du temps avec Johanna Konta. Peu de choses semblent pouvoir impressionner la joueuse de 20 ans, qui va d’abord jouer l’un des tournois WTA 500 de Melbourne avant de disputer l’Open d’Australie.

Carla Suarez Navarro - Spain

“Mon entraîneur (Andreu Guilera) a beaucoup d’expérience sur le circuit”, a-t-elle déclaré. “J’ai travaillé avec lui ces dernières années, je suis sûre qu’il va me guider sur la bonne voie, tout comme Claire, évidemment. Claire a de l’expérience en tant que joueuse, elle garde un contact très régulier avec moi, donc je pense que nous serons prêts”.

Francesca Jones participera dès lundi à la Yarra Valley Classic à Melbourne, où elle doit affronter au premier tour l’Argentine Nadia Podoroska, demi-finaliste à Roland-Garros l’an dernier.

Si une qualification pour son premier tournoi du Grand Chelem a changé ses objectifs à court terme, la Britannique garde les pieds sur terre :

“J’essaie de garder les objectifs fixés par mon équipe, parce que je pense que nous ajustons constamment nos objectifs, que ce soit sur le plan technique, tactique ou en termes de résultats, il faut toujours les ajuster en fonction des situations et des circonstances”, explique-elle.

“Mon objectif est de donner le maximum et de continuer à travailler avec mon équipe pour m’améliorer. Et j’espère que ce travail paiera à l’avenir. Vous savez, personne ne le sait vraiment mais j’ai juste besoin d’avoir confiance en ce que je fais.”

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