Exclusif – Ruud : « Je vis pour le tennis sur terre battue »
Casper Ruud a remporté le plus grand titre de sa carrière à Madrid, il y a dix jours. Alors que son duel face à Matteo Berrettini est considéré comme le match du jour à Rome, le Norvégien se confie sur le parcours de sa carrière auprès de Tennis Majors.

Tennis Majors : Casper, c’est votre premier tournoi en tant que vainqueur d’un Masters 1000, à Madrid. Quel est votre ressenti ?
Casper Ruud : Bien sûr, c’est un bon sentiment, et je pourrai toujours dire que j’en ai gagné un. Je ne ressens pas encore un grand changement dans ma vie (sourire). Je dors toujours pareil. Je regarde les mêmes séries. Je m’entraîne de la même manière. Je suis toujours le même gars. Mais je pense que lorsque vous gagnez un Masters 1000, cela ajoute du respect à votre nom et à votre carrière. Et je sais que, quand je joue contre certains joueurs, je me dis : « ce gars a gagné un 1000, il est très bon ». Après avoir gagné l’UTS à Nîmes, j’ai joué Popyrin à Monte-Carlo, et j’ai fini par perdre contre lui. Il a gagné Montréal. Il a un jeu capable de battre n’importe qui, il peut remporter ce genre de matchs. J’espère donc que je peux désormais avoir le même effet sur mes adversaires, surtout sur terre battue. Qu’ils se disent : « Casper a gagné Madrid, je dois vraiment bien jouer ». Si je peux obtenir ce petit plus de 1 % ou 2 %, je le prends.
Quelle est l’histoire derrière la photo que vous avez tweetée de vous enfant dans les tribunes de la Caja Mágica ?
Ma grand-mère, dès qu’un petit-enfant atteignait les 10 ans, offrait un cadeau spécial : un voyage au choix dans une ville d’Europe le temps d’un week-end. J’ai choisi Madrid, car je voulais voir du tennis. C’était un rêve. Je n’avais jamais assisté à un grand tournoi. J’ai pu voir beaucoup de mes joueurs préférés. J’étais un chasseur d’autographes comme beaucoup de fans encore aujourd’hui. Pas trop de selfies à l’époque, l’autographe était la référence, et je me souviens avoir eu celui de Novak, c’était génial. Je crois que j’ai vu Soderling jouer contre Federer sur le court central un soir. Je pense avoir vu Rafa à l’entraînement. Je ne me souviens pas de tout, juste que j’étais très heureux.
Pourquoi Madrid plutôt qu’une autre capitale à ce moment-là ?
Je ne suis pas sûr, mais ma grand-mère avait de la famille à Madrid. On est restés chez eux, ce qui rendait le voyage plus économique. C’était un bon compromis pour moi et pour elle, rien de plus.

Avant Madrid, vous aviez perdu quatre grandes finales, dont deux en Grand Chelem et une au Masters. Vous vous êtes dit : « Assez, je ne peux pas perdre toutes les finales » ? Ou ce n’était pas si grave si ces finales n’étaient pas à votre portée ?
Quand on joue ce genre de match, on pense que tout est possible. Mais ce sont des défaites logiques, contre des adversaires très forts. Je n’étais tout simplement pas assez bon dans ces grandes finales. Carlos Alcaraz m’a barré la route plusieurs fois (US Open 2022), Novak Djokovic (Masters 2022), Rafael Nadal (Roland-Garros 2022), puis j’ai perdu contre Stefanos Tsitsipas à Monte-Carlo (2024). Même si je n’avais jamais gagné un 1000 ou si je ne gagne pas de Grand Chelem, je resterais fier de ma carrière. Mais évidemment, ce trophée de Madrid fait du bien à mon palmarès. Jack Draper jouait un tennis incroyable, comme il le fait toute l’année. Mais je me disais que sur terre battue, j’avais l’avantage, c’est un peu chez moi. Je me disais : « Je suis le joueur de terre battue ici, et même si tu joues très bien, moi, je vis pour ce tennis sur terre battue ».
Donc je me répétais ce genre de choses pour rester positif. C’était un grand match. Madrid est un peu différent car c’est plus rapide. On marque plus de points gratuits avec le service, etc. Mais au final, c’est le tennis sur terre que j’ai joué qui m’a permis de franchir la ligne d’arrivée. Le dernier jeu résume bien cela. Il y a une vidéo avec un super angle où l’on voit que je cherchais à jouer lourd sur son revers, comme Rafa bat ses adversaires sur terre. Il s’agit de faire souffrir l’adversaire sur son revers, encore et encore. Et à la fin, il en a tellement marre qu’il lâche. Je suis très loin de Rafa – je ne me compare pas – mais ce n’est pas un secret, c’est comme cela que se gagnent beaucoup de matchs sur terre. J’essaie juste d’appliquer ça.

En cette période de la saison, comment gérez-vous le fait que c’est la terre battue – votre surface de prédilection – et que c’est probablement le moment de l’année où vous pouvez obtenir vos meilleurs résultats, donc avec une forme de pression ?
Oui, de début 2023 jusqu’à Roland-Garros, j’ai marqué 3 000 points. Il faut les défendre. Je ne les ai pas encore tous défendus, même si la victoire à Madrid aide beaucoup. On y pense, mais en même temps, le classement fluctue. Honnêtement, que je sois numéro 7 cette semaine ou 14 ou 18, je vais continuer à faire le travail. Je reste le même en quelque sorte…
J’essaie d’analyser le tennis en général et ce que les jeunes joueurs font bien
Numéro 7 ou 14, c’est vraiment la même chose, sérieusement ?
Bien sûr que non, mais ce que je veux dire c’est que, quand je suis arrivé à Madrid, j’étais 15e mondial, je crois. Et sur le court à l’entraînement, ça change quoi ? Rien. Je joue mon coup droit comme je le joue. Pareil pour mon revers. C’est agréable d’arriver en tant que Top 10, n°7 mondial ou autre. Mais le classement monte et descend alors qu’un titre reste à vie. J’ai toujours rêvé d’avoir au moins dix titres en carrière, et j’ai réussi. J’en suis à 13. Je dois considérer le 13 comme un porte-bonheur maintenant, c’est amusant. Il me reste 1 000 points à défendre, avec Genève et Paris qui arrivent. Donc si je fais bien à Rome et à Paris, ce sera très important. L’année dernière, j’ai fait le Masters de Turin, mais entre Roland-Garros et Turin, je n’ai pas gagné beaucoup de matchs. Oui, avec une bonne saison sur terre, on peut construire une bonne dynamique pour le reste de l’année.
En début d’année, vous avez accordé une interview à Tennis Channel qui a surpris, dans laquelle vous disiez vouloir être moins prévisible sur le court, notamment avec votre coup droit. Où en est ce travail et pourquoi êtes-vous aussi ouvert sur ces sujets ?
J’essaie d’analyser le tennis en général et ce que les jeunes joueurs font bien. Je n’ai jamais joué Fonseca, mais contre des gars comme Mensik, Carlos (Alcaraz), Fils, ils frappent des coups auxquels je ne pense même pas naturellement, comme le revers long de ligne ou le drop-shot en première intention. Moi, mon jeu repose plus sur la construction et la stabilité. Mais parfois, gagner des points rapidement avec des coups surprenants, c’est bien aussi. Donc si un adversaire me joue sur mon revers et sent que je vais jouer croisé 90 % du temps, il peut anticiper et organiser son jeu. Mais s’il pense : « Il peut frapper long de ligne, slicer, amortir… », c’est une autre histoire. J’ai joué contre des joueurs où c’est impossible de lire le jeu, et le meilleur dans ce domaine, c’était Roger (Federer). J’ai eu la chance de le jouer une fois à Roland-Garros, et wow, je ne savais jamais ce qui allait sortir de sa raquette. Il pouvait envoyer une balle en cloche puis enchaîner avec un slice court ou une frappe rapide. Je ne vais pas essayer de jouer comme Roger, c’est trop difficile pour moi. Mais si mes adversaires se demandent : « Où va aller le coup droit de Casper maintenant ? », c’est bon pour moi, car trop souvent, je suis trop prévisible et donc vulnérable.

À quoi vous attendez-vous avant d’affronter Matteo Berrettini au troisième tour à Rome ?
J’aimerais pouvoir donner une réponse claire, mais je vais faire de mon mieux. Nous avons eu un match vraiment difficile ici il y a presque cinq ans (que j’ai gagné). C’était pendant le Covid-19, donc j’ai eu un peu de chance qu’il n’y ait pas de spectateurs pour le soutenir. Ils seront probablement très bruyants lundi, mais ce sera amusant. Je vais vivre une ambiance vraiment, vraiment géniale, et il va clairement s’en nourrir. Je sais qu’il aime jouer à domicile. Il vient d’ici, c’est un héros local. Je vais faire de mon mieux pour l’arrêter, et si j’y parviens, je m’excuse d’avance, mais tout peut arriver sur le court, et j’aimerais bien poursuivre ma série de victoires.




