“On a tout de suite vu qu’Alcaraz avait une attitude à part”

Babolat a signé son premier contrat avec Carlos Alcaraz à l’âge de 10 ans. Jean-Christophe Verborg, directeur du marketing sportif monde chez Babolat, décrypte l’ascension du numéro un mondial espagnol.

Carlos Alcaraz, Jean-Christophe Verborg, 2022 Carlos Alcaraz, Jean-Christophe Verborg, 2022 – © Antoine Couvercelle / Panoramic – © Tennis Majors

Après notre série de six longs formats sur l’ascension de Carlos Alcaraz – de Carlitos à Alcaraz -, nous vous proposons un petit extra.

Jean-Christophe Verborg est un homme chanceux : son travail consiste à entretenir et à développer la relation entre Babolat et les principaux ambassadeurs de la marque, notamment bien sûr Rafael Nadal et Carlos Alcaraz.

L’histoire de Nadal avec la marque française est bien documentée, mais dans une interview exclusive, Verborg répond aux questions de Tennis Majors sur Alcaraz et Babolat, de leur histoire à leur avenir commun.

À quand remonte le début de l'histoire entre Carlos Alcaraz et Babolat ?

Carlos vient d’une filière longue de chez Babolat. Dès le début de notre histoire, quand on s’est lancé sur le marché de la raquette en 1994, pour nous aider à asseoir rapidement notre crédibilité dans ce secteur, nous avons eu le souhait de nous engager dans des projets de partenariats avec des jeunes, le plus tôt possible, afin de créer une relation dans la durée.

Cette volonté est toujours d’actualité et Carlos est né de ça. En 2013, il avait été invité par notre filiale espagnole à jouer la Babolat Cup, une sorte de championnat national organisé en Espagne par notre marque. Il faisait déjà partie de ces jeunes qui jouaient bien et il a signé alors son premier contrat international. Il avait 10 ans. 

Qu'est-ce qui vous avait frappé chez lui à l'époque ?


On a très vite vu qu’il avait vu quelque chose de singulier. Je n’aime pas dire “mieux”, parce que tout le monde joue très bien. Mais en dehors de son jeu, il avait une attitude à part. Ce qu’on a toujours aimé chez lui, que ce soit moi ou mes équipes, c’est cette joie de vivre qu’il a sur le court. C’est à la fois très sérieux, très solide, mais l’on sent aussi qu’il se fait plaisir, qu’il n’est jamais dépassé par l’enjeu. Et ça, il l’a toujours gardé, on a pu encore le voir en finale de l’US Open. Il a toujours dégagé cette énergie positive et ça, c’est un critère super important pour nous. C’était un gros complément à son niveau de jeu déjà très complet à son plus jeune âge.

Entre Carlos Moya, qui a été votre premier gros ambassadeur raquettes au plus haut niveau, puis Rafael Nadal et maintenant Carlos Alcaraz, vous avez une vraie relation privilégiée avec l'Espagne…


En tant qu’Espagnol, Carlos a forcément été influencé par la marque avec laquelle jouait Rafa, même si son papa ne jouait pas avec Babolat. Après, le premier critère pour un joueur de choisir Babolat aujourd’hui, c’est l’attractivité de la marque, qui est clairement identifiée désormais comme une marque experte. C’est beaucoup plus facile pour nous maintenant qu’au début des années 2000. 

De notre côté, nous avons bien sûr la volonté d’être fort dans les grands pays de tennis, dans les marchés où nous avons des filiales et où il y a pour nous des enjeux importants. Les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne sont d’autres pays importants pour nous, entre autres. Il se trouve que Carlos est Espagnol. S’il avait eu une autre nationalité, nous aurions été intéressés aussi. Le fait qu’il soit Espagnol, c’est un plus mais ce n’est pas un critère fondamental. On cherche avant tout ce genre de profil dont le tennis, je pense, a besoin. Quand on voit le match entre Carlos et Jannik Sinner à l’US Open, ce sont ce genre de matches qui font du bien au tennis.

Cela tombe bien que vous parliez de ce match entre Alcaraz et Sinner, car nous avons fait un focus dessus. Comment l'avez-vous vécu ?


C’est un des plus beaux matches que j’ai jamais vus, en termes de niveau, d’intensité et de suspense. Et pourtant, j’en ai vus ! Il y avait 25 000 personnes dans le stadium Arthur-Ashe, les mecs étaient tous debouts, hystériques ! C’était fou. Au début du match, il y avait un brouhaha permanent, tout le monde était en train de manger et plus le match avançait, plus les gens étaient dedans. J’ai rarement ressenti une telle électricité. J’en avais la chair de poule.

J’étais dans le stade avec mon bras droit et à un moment, on s’est fait la réflexion comme quoi c’était dingue le nombre de lignes qu’ils arrivaient à accrocher. Parce qu’il y avait une prise de risques qui était complètement dingue. C’est ce qui m’a impressionné dans ce match : cette prise de risques maximale du début à la fin. Les mecs n’ont pas peur. Ce sont des pilotes de Formule 1 qui prennent le virage plein fer parce qu’ils ont confiance. 

A l’arrivée, cela donne un match de mutants avec un engagement total, un tennis de haute intensité. Certains disent que ça ne fait que cogner mais quand on regarde tout le match, on voir deux joueurs qui réfléchissent, qui utilisent différentes filières. S’ils continuent à jouer comme ça, les autres devront s’adapter ou trouver quelque chose pour contrecarrer leur puissance – et certains joueurs savent le faire.  

C’était un match révélateur d’énormément de choses. S’il a montré une chose, c’est qu’aujourd’hui, pour être top 10, aujourd’hui, il faut savoir tout bien faire. A une époque, le revers était le coup moins fort de nombreux joueurs. Cette génération frappe des deux côtés avec une intensité et une prise de risques qui est dingue. Je ne dirais pas que c’est nouveau, mais on a l’impression qu’ils se sont inspirés du meilleur de pas mal de champions. C’est une sorte de synthèse de tout ce que les autres savent bien faire. Carlos, il sert très bien, ll retourne très bien, il va à la volée, il fait des amortie… Il sait effectivement tout faire, et il a des filières très différentes.

Carlos Alcaraz lors de sa victoire face au Sud-Coréen Kwon Soon-Woo en Coupe Davis à Malaga en 2022
Carlos Alcaraz lors de sa victoire face au Sud-Coréen Kwon Soon-Woo en Coupe Davis à Malaga en 2022. ©Al / Reuters / Panoramic

Ce "nouveau" tennis a-t-il aussi changé quelque chose dans votre manière de concevoir de nouvelles raquettes ?

C’est en effet quelque chose qu’on avait anticipé depuis plusieurs années. On s’est dit que comme la nouvelle génération allait jouer de plus en plus fort, il fallait avoir dans notre gamme des produits répondant aux attentes de ces joueurs-là.  Des produits très dynamiques sans être aussi puissants que des Pure Drive ou des Pure Aero, pour des joueurs ayant déjà cette puissance en eux avec une gestuelle très ample. Avec ce jeu débridé et cette gestuelle assez ample, ces mecs ont besoin de puissance et de contrôle.

Du coup, quelle raquette utilise Carlos aujourd'hui ?

Il joue avec la Pure Aero 98. En fait, il a toujours joué dans la famille des Pure Aero, mais il a changé de modèle juste après l’US Open 2020. Pendant le Covid, il a vu que son jeu s’intensifiait encore plus, que son physique se développait, qu’il devenait de plus en plus en puissant. Il nous a donc demandé quelque chose avec un peu plus de contrôle. C’est comme ça qu’il est passé de la Pure Aero à la Pure Aero VS – devenu en août dernier la Pure Aero 98 -, un modèle avec un tamis un peu plus petit (630 contre 645) et un équilibre de poids un peu plus vers le centre de la raquette.

C’est un segment que je qualifierais d’hybride ; la Pure Aero 98 offre malgré tout un peu plus de puissance et de dynamisme qu’une raquette à section carrée – comme la Pure Strike de Dominic Thiem -, mais plus de contrôle que la Pure Aero traditionnelle, le modèle avec lequel joue Nadal. 

Cette Pure Aero 98 existait déjà dans son concept depuis longtemps avec l’Aerostorm, qu’on a depuis affinée et retravaillée au niveau du matériau. Le profil est un peu différent aujourd’hui. L’Aerostorm avait un profil carré au niveau du cadre, avec le cœur de la raquette et les branches très profilées. Avec la Pure Aero Drive 98, on a un peu “arrondi” tout le truc pour que ce soit une raquette qui, tout en étant orientée contrôle, conserve un profil super aérodynamique, pour favoriser davantage de puissance et le spin.

Aujourd’hui, c’est un modèle qui colle parfaitement au style d’Alcaraz : on a l’impression qu’il est en totale harmonie avec sa raquette, qu’elle fait partie de son corps.

Quel est le contrat entre Babolat et Alcaraz ?

Vous connaissez la politique maison : les chiffres comme la durée des contrats sont confidentiels. Mais ce qui est clair, c’est que l’on veut s’inscrire sur la durée et accompagner son projet dans sa globalité, comme on peut le faire aujourd’hui avec un Jo-Wilfried Tsonga et son académie. On veut écrire une histoire avec Carlos. Ce qui se passe avec lui, c’est génial pour nous mais ce n’est pas non plus une énorme surprise. Cela fait longtemps que l’on sait que l’on détient quelqu’un de hors-pair, que l’on se doutait qu’il allait faire quelque chose.  

Depuis son titre à l'US Open, Carlos traverse une période plus difficile. Après sa défaite à Astana, il a même fait un parallèle avec Emma Raducanu. En tant que partenaire, comment l'aidez-vous à gérer ces moments-là, et est-ce aussi de votre responsabilité ?

Il a une équipe de management autour de lui, c’est sa responsabilité de bien faire les choses par rapport à tout ça. Nous, on a fait en sorte de ne pas en rajouter dans ses obligations parce que ce qu’il se passe actuellement pour lui, c’est de la folie. On l’a laissé tranquille, on sait qu’il a beaucoup de choses à gérer. Après son sacre à l’US Open, on a juste fait un live Instagram parce qu’on voulait quand même avoir un petit moment avec lui pour montrer cette proximité. Mais on l’a fait plus tard. On a laissé passer l’orage médiatique. Il ne s’agit pas d’être un boulet pour lui !

C’est vrai qu’après l’US Open, ça a été un peu le tourbillon. Carlos a donné pas mal d’interviews, il a joué le jeu parce que cela fait partie aussi du business. Un joueur qui ne veut pas parler aux médias, ce n’est pas bien. Maintenant, je pense qu’il a la tête suffisamment sur les épaules et l’esprit suffisamment clair pour se remettre rapidement dans une démarche de compétition. Parce que c’est un vrai matcheur. Je sais aussi que Juan Carlos Ferrero est extrêmement rigoureux par rapport aux périodes d’entraînement.

Il faut se rendre compte qu’à 19 ans, émotionnellement, c’est complètement dingue de gérer tout ça. Mes recommandations, c’est : il vient de faire un truc énorme, c’est extraordinaire, c’est top pour nous. Mais l’histoire continue. On est déjà en train de se dire qu’il faut qu’il en gagne d’autres. Et il faut qu’on l’y aide. 

Vous avez récemment passé du temps avec Rafael Nadal dans son académie à Manacor : comment voit-il l'ascension de Carlos, qui est certes un ami, compatriote et "coéquipier" au sein de Babolat, mais qui est aussi un rival ?

Avec Rafa, on a parlé un peu de Carlos, de son jeu, de son matériel aussi, Rafa m’a posé quelques questions par rapport à ça. Mais quand je discute avec lui, je ne lui demande pas ce qu’ils pensent l’un de l’autre. Ils se connaissent bien, évidemment. Mais il y a un gros écart d’âge. Finalement, les affinités sont peut-être plus entre Rafa et Juan Carlos Ferrero. Ils sont beaucoup plus proches en âge. Et puis, Rafa a grandi avec Ferrero. Quand il a fait ses débuts en Coupe Davis, en 2004, c’était avec lui. 

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