Gilles Moretton : “J’ai le sens de l’avenir du tennis”

Président de la Fédération française de tennis (FFT) depuis février, Gilles Moretton aborde son premier Roland-Garros dans ce rôle. Dans un entretien à Tennis Majors, il se dit prêt à mettre du liant entre les instances dirigeantes du tennis mondial, précise ses objectifs de formation et aborde avec philosophie les difficultés financières de la FFT.

Portrait de Gilles Moretton JB Autissier / Panoramic

Gilles Moretton subit un baptême du feu pour son premier mandat de président de la FFT, mais il a décidé de s’y atteler avec enthousiasme et sans se plaindre. C’est ce qui ressort dans l’entretien accordé par l’ancien joueur (65e mondial en 1981) à Tennis Majors avant l’ouverture de Roland-Garros 2021. Gilles Moretton, élu en février pour quatre ans, voit aussi plus loin que la Porte d’Auteuil et la situation financière de Roland-Garros.

Faire collaborer les majeurs, dialoguer avec les meilleurs mondiaux, améliorer la gouvernance de ce sport et les revenus des moins bien classés, refaire du tennis le sport à la mode et remettre la formation au cœur du système français : voici les dossiers que Moretton a sous le coude, que la situation du tennis mondiale lui impose, ou qu’il l’ait décidé lui-même.

Votre premier Roland-Garros de président de la FFT va se dérouler en pleine pandémie : comment abordez-vous la situation ?

J’aborde ce que le monde traverse avec du recul et de philosophie. Je le vois arriver avec comme d’abord un signal pour moi, puis un signal pour la planète. Il y a un avant et un après. Maintenant, en ce qui nous concerne, nous, Fédération française de tennis, nous organisons le tournoi du Grand Chelem le plus impacté. On aura eu deux pandémies, nous, alors que Wimbledon n’en aura qu’une en bénéficiant d’une assurance. L’US Open va pouvoir jouer normalement en 2021. Quant à l’Australian Open, il n’a pas été touché du tout par la première vague, et a pu avoir des spectateurs pour la deuxième.

Nous sommes les plus touchés. Mais quand je regarde le monde autour de nous, les Français et les entreprises, nous sommes tous logés à la même enseigne. On va arrêter de se plaindre. On va se battre. Comme les équipes l’avaient fait en septembre dernier (avant son élection, ndlr) et comme nous on le fait maintenant. Par rapport à septembre, on sait à quelle sauce on va être mangé : on a la jauge, sauf catastrophe de dernière minute (5000 spectateurs par jour environ, dont 1000 sur le Chatrier jusqu’au jeudi 9 juin). Ce sera forcément un Roland-Garros qui ne sera pas optimal mais on a quand même eu de la chance.

C’est ce qu’on avait espéré en déplaçant le tournoi d’une semaine. Et là, je salue ma directrice générale, Amélie Oudéa-Castéra, qui a eu vraiment deux fois le nez creux , à la fois pour ce déplacement d’une semaine, mais aussi pour avoir trouvé qu’il y avait six ERPPA (Etablissement Recevant du Public en Plein Air) dans ce stade de Roland-Garros et pas seulement un, et qu’on donc pouvait avoir, les premiers dix jours, non pas seulement 1 000 spectateurs dans le stade mais quasiment 6 000. 

Reste que c’est compliqué, notamment pour le budget de la Fédération puisque l’exercice 2020 s’est conclu en août 2020 sans Roland-Garros , avec une perte de 92 millions d’euros pour la FFT. Et pour l’exercice 2021, avec deux “tous petits Roland-Garros”, les résultats ne seront pas forcément excellents non plus. Donc voilà, on va faire face et se débrouiller pour qu’on puisse récupérer ce manque à gagner.

À quel point la situation financière est-elle tendue ?

Je ne veux pas me plaindre, puisque c’est dur pour tout le monde. On a anticipé, on a réagi, on s’est mis autour de la table avec nos banquiers pour discuter, retarder et repousser éventuellement les échéances. On a souscrit l’année dernière un prêt garanti de l’Etat, comme on avait le droit de le faire. C’est la réaction que doit avoir un entrepreneur et en l’occurrence une fédération qui a fait des investissements mais qui subit des décalages de remboursements, de résultats, de chiffre d’affaires.

Veillez-vous à ce qu'il y ait plus d'enthousiasme que de pression ?

Oui, complètement ! Ça va nous permettre de nous remettre en question et ça c’est une très bonne chose. Remise en question sur la façon dont on consomme, la façon dont on dépense, la façon dont on investit, la façon dont on gère. C’est ma philosophie. La remise en question, pour un joueur de tennis, est permanente. On a une très belle fédération, mais qui est en difficulté, donc il faut se remettre en question.

J’ai une forme de management, et forcément une attitude, très différente de ce qui se faisait avant.

Gilles Moretton

Depuis votre élection, et même si vous connaissiez déjà bien les rouages de ce monde sportif, avez-vous été surpris par certains aspects de la mission ?

Non, j’arrive dans une fédération où je connais tous les métiers. Il n’y pas un métier ici que je n’ai pas fait. La billetterie, la logistique, l’entraînement, la compétition, le marketing, la télévision. Il est certain que j’apprends tous les jours au contact de gens très compétents, voire plus compétents que moi, mais les sujets sur lesquels je dois intervenir sont des sujets que je connais et sur lesquels je sais parfois que je ne sais pas, ce qui est un avantage. J’ai une forme de management, et forcément une attitude, très différente de ce qui se faisait avant. Je suis très sérieux, mais je ne me prends pas du tout au sérieux. C’est toujours le plaisir, la passion. Je peux aider mon sport, je le fais bien volontiers.

A l’Open d’Australie, on voit beaucoup Craig Tiley qui est assez interventionniste et qui cherche à entretenir des relations très proches avec les meilleurs joueurs et meilleures joueuses du monde. Quelle option avez-vous décidé de prendre ?

La façon dont les organisateurs de l’Open d’Australie ont mené leur barque jusqu’à maintenant a été assez maline. Ils ont joué des coudes, ils se sont associés à l’ATP pour l’ATP Cup notamment. Mais en ce qui concerne ma relation avec les joueurs, je la trouve assez exceptionnelle parce que je les ai tous eus dans mon tournoi à Lyon ou que je les connais d’une manière ou d’une autre. L’autre jour, j’ai appelé Roger Federer pour une autre raison et il se souvenait des années où il avait joué et contre qui il avait perdu. Nadal c’est pareil, il est venu à Lyon. On fait partie de la même famille, c’est important, je suis encore “ATP member”. Je sais rester à ma place avec ces gars-là : je sais ce que je peux leur demander, où je dois aller. Je suis assez à l’aise aussi avec ça, sans vouloir en faire trop.

Être directeur d’un tournoi du Grand Chelem, c’est en effet aussi pas mal de politique et de relationnel.

Effectivement. S’il y a bien un enjeu qui est très important pour le tennis mondial aujourd’hui, c’est la réflexion que mènent l’ITF, l’ATP, la WTA et les quatre tournois du Grand Chelem sur l’avenir de la gouvernance de ce sport. J’ai découvert cet univers-là : il n’y a aujourd’hui pas vraiment d’unité dans tout ça, chacun tire un peu dans son sens. J’espère aider avec cette sensibilité (d’ex-)joueur. Je m’entends aussi très bien avec Andrea Gaudenzi car on parle le même langage…

J’ai, au-delà de ça, le sens de l’avenir du tennis et je n’ai pas l’intention de ne tirer la couverture qu’à moi ou à la fédération, où à Roland-Garros. Ce doit être gagnant-gagnant. Donc si je peux fédérer autour de tout ça, me mettre autour de la table pour échanger avec des joueurs comme Nadal et Federer, ce que j’ai déjà commencé à faire, je serai ravi. J’espère à un moment donné être ce liant dans la réflexion en cours.

C’est aussi important pour Roland-Garros de se positionner par rapport aux trois autres majeurs. Est-on dans la collaboration et l’émulation ou toujours surtout dans une sorte de concurrence ?

Pour moi, il doit y avoir des collaborations. J’ai entamé ces collaborations, j’ai par exemple appelé Ian Hewitt à Wimbledon pour demander ce qu’il pensait de la wild-card qu’on voulait donner à Andy Murray (mais Murray a finalement zappé la saison sur terre battue, ndlr). Ce qui m’intéresse, c’est d’aider le tennis. Bien sûr je vais favoriser Roland-Garros, mais si on aide le tennis, on sera tous gagnants à un moment ou à un autre. On a intérêt à être solidaires, à ne pas jouer chacun dans son coin. Si on fait ça, on va affaiblir le jeu à un moment où il faut au contraire avoir un cadre bien clair pour que les gens comprennent le tennis et que les joueurs soient satisfaits.

J’ai envie de jouer ce rôle-là. Je ne jouerai pas dans mon coin, je suis trop proche de l’ATP et de la WTA. Autour de moi, il n’y a plus que des joueurs maintenant. J’ai justement nommé Nathalie Dechy comme responsable du tennis international. Amélie Oudéa-Castéra a été joueuse aussi. Il y a également Arnaud Clément…

C’était un parti pris de placer beaucoup d’anciens joueurs dans l’organigramme ?

Il n’y a pas qu’eux ! Il y a aussi des présidents de Ligue autour de moi qui me correspondent dans la façon de diriger, conviviale et utile. Au-delà de ça, Arnaud Clément pour s’occuper de la DTN, c’est bien. C’est quelqu’un qui est honnête, intègre, qui connaît parfaitement le jeu, qui a appris aussi dans ce monde associatif et qui a maintenant une fonction qui lui correspond très bien.

Le jour où tu ne vas pas bien et que tu es en Amérique du Sud tout seul où tu vas rester une semaine tout seul à ruminer la défaite, si tu n’es pas costaud, tu vas finir dépressif.

Vous vous trouvez devant le dossier Roland-Garros actuellement, mais il y a un autre gros dossier également, celui du tennis français. Le nouveau DTN Nicolas Escudé parlait encore récemment de réorientation de la politique sportive et on a l’impression qu’on a toujours du mal à résoudre cette tension et les méthodes qui suivent les choix qui en découlent : la FFT doit-elle former des joueurs professionnels ou sortir des champions ?

Notre mission principale, c’est de former des hommes et des femmes qui soient d’abord équilibrés, bien dans leur tête et qui soient des champions au moment où ils doivent être champions. Pour quelqu’un, ce sera à 12 ou 13 ans parce qu’il est mature, et prêt, mais il ne sera peut-être plus champion à 18 ans. Et pour d’autres, ça viendra plus tard. Tout le monde a une bonne technique mais à partir de 18 ans, c’est dans la tête que ça se passe : il faut avoir un mental en acier pour pouvoir se confronter à des difficultés.

Le tennis n’est pas un sport d’équipe, on ne peut pas compter sur les copains une fois sur le terrain. Le jour où tu ne vas pas bien et que tu es en Amérique du Sud tout seul où tu vas rester une semaine tout seul à ruminer la défaite, si tu n’es pas costaud, tu vas finir dépressif. On a besoin que nos jeunes arrivent à la maturité en étant forts dans leur tête. Pour ça, il faut respecter un certain nombre de passages obligatoires de formation et ne pas aller trop vite. Il faut aussi un équilibre familial, il faut pouvoir prendre en considération les besoins des uns et des autres et ne pas imposer un modèle. 

Le rôle aujourd’hui de Nicolas Escudé et son équipe, c’est la formation avant tout. Mais, et ça c’est une contrainte de cette époque, qu’on remette aussi l’accent sur la technique : il faut que nos joueurs aient une technique irréprochable en prenant le temps qu’il faut. Si on force un gamin de 10 ou 11 ans à gagner à tout prix, il va figer une technique qui va lui permettre de gagner à 10 ans mais qui ne lui permettra plus de gagner à 15 ou 16 ans. Il faut qu’on se redonne des priorités.

Vous estimez être face à un gros chantier ou à des ajustements ?

Non, on n’est pas sur un gros chantier. On a la chance d’avoir le pays le mieux doté pour le tennis avec des clubs, avec des enseignants de qualité partout en France, et qui vont même aussi à l’étranger. On exporte notre savoir. Mais il faut qu’on valorise nos enseignants. Là, il y a un vrai chantier. Il faut qu’on travaille sur ce sentiment d’unité, qu’on fasse prendre conscience aussi à l’ensemble de nos acteurs qu’on a une chance extraordinaire. Et puis, il faut qu’on retrouve la passion et l’investissement, ça, c’est indispensable.

On sent que vous avez décidé de travailler en équipe. N’y a-t-il cependant pas un risque, en regardant cet organigramme, qu’il y ait trop de voix ? Trancherez-vous si besoin ?

Non. Mon mode de fonctionnement, c’est la délégation et la confiance. Je ne tranche pas. Il n’y a pas une gouvernance unique. J’ai des équipes et je ne fais surtout pas d’ingérence. Donc quand on discute des wild cards, les patrons c’est Nicolas Escudé, c’est Guy Forget (directeur de Roland-Garros, ndlr). Je suis avec Arnaud Clément, on discute, on échange et à un moment donné, quelqu’un décide, ça peut être moi, mais je n’irai jamais à l’encontre d’une décision prise, quelle qu’elle soit, quel que soit le domaine. Donc, oui, c’est une forme de management très participative, et en aucun cas, je ne vais couper d’élan. 

Je suis désolé pour les bénévoles. Ici à la fédération, il y a des gens dans certains domaines qui sont bien plus compétents que nous, les élus.

Gilles Moretton

Je demande aux équipes deux choses. D’abord, elles ont le droit de pas être d’accord avec nous (la direction, ndlr). Deuxièmement, elles ont le droit de se tromper mais elles n’ont pas le droit de ne pas essayer : c’est un élément important. Je leur demande aussi de me surprendre. Il faut qu’on redonne, parce que je pense qu’on l’avait perdu dans un certain nombre de services, l’autonomie et cette capacité à être force de proposition au sein de la fédération.

Il y a de la qualité, mais si vous bloquez les énergies parce que ce sont les élus bénévoles qui décident… Le but, c’est la qualité du travail. Bah, je suis désolé pour vous, bénévoles. Ici à la fédération, il y a des gens dans certains domaines qui sont bien plus compétents que nous, les élus. On a le droit de décider, mais c’est à eux de nous conseiller.

Vous parlez de l’attribution des wild cards pour Roland-Garros : cette saison encore les choix de la FFT n’ont pas fait que des heureux, on a même lu des mots assez durs du coach Sébastien Torrent, qui travaille avec Alice Robbe… C’est un peu toujours la même histoire on dirait…

Il y a toujours des déçus. Malheureusement, ça a toujours été le problème. “Ma joueuse mérite…”, “L’autre est mieux classée…” “Mais l’autre est plus jeune…” (voir dans Ouest France l’article “Un entraîneur dénonce le népotisme de la FFT“). Si j’avais voulu me planquer, je serais resté chez moi. Je suis à la retraite, je ne demande rien, je n’ai besoin de rien. Aujourd’hui, forcément, quand on fait des choses, on dérange. La critique, il y en aura, j’écouterai, j’assumerai et si à un moment donné je ne suis pas digne d’être là, de toute façon, on me sanctionnera.

Aujourd’hui, le tennis a perdu en clarté, contrairement à un sport comme la Formule 1 où tout est clair, net et précis.

Gilles Moretton

Comment pouvez-vous finir cette phrase : “j’aurai réussi ma mission, mon mandat si…”

Il y a un élément très fort : c’est l’image du tennis. L’image du tennis a perdu en éclat. J’ai eu la chance de connaître les années 1980 et 1990 où tennis était le sport tendance, à la mode. Après, peut-être qu’on s’est reposé sur nos lauriers, peut être aussi que d’autres sports émergeants sont arrivés avec des choses à proposer qui correspondaient plus à l’air du temps. Et quand je parle de l’air du temps, c’est qu’aujourd’hui, la société veut le plaisir immédiat. Mais au tennis, avant de s’y faire plaisir sur un court, il faut y passer six à huit mois, donc c’est compliqué. Je voudrais que l’image retrouve cet éclat, ce plaisir, et que le tennis se pratique partout. Et on n’oublie pas le padel, qui arrive, et qui propose ce plaisir immédiat.

C’est paradoxal de devoir se battre pour l’image du tennis quand on a bénéficié de l’ère Big 4 ou des sœurs Williams…

Je parlais ici de l’image en France. Il y a aussi notre’image à l’international : on n’y voit pas clair aujourd’hui dans le tennis. Entre les tournois du Grand Chelem, l’ATP, la WTA, la Coupe Davis, l’ATP Cup, la Laver Cup… C’est un peu comme la boxe où il y a deux ceintures… Aujourd’hui, le tennis a perdu en clarté, contrairement à un sport comme la Formule 1 où tout est clair, net et précis. Nous on a une chance, c’est qu’on sait que les tournois du Grand Chelem sont là, on sait qu’il y a des ATP Masters 1000. Mais on mériterait à clarifier notre produit à l’international, et aussi de créer l’unité entre les joueurs, les Grands Chelems, l’ATP, etc.

On a aussi besoin d’aider les joueurs qui sont au-delà de la 250e place, et cela fait partie de mon projet. Ce n’est pas normal qu’un sport planétaire qui a de l’argent, qui est retransmis par les télévisions et a de beaux sponsors sur les bâches de fond de court ne soit pas capable de nourrir plus de 250 joueurs au monde. Il y a un vrai problème de l’ITF et de la gouvernance internationale. S’ils n’ont pas été capables d’y parvenir, ça veut dire qu’on doit tous, les Grands Chelem, les ATP 1000, réfléchir à ce qu’on peut faire. Parce qu’on a besoin des “petits joueurs” pour que les grands s’expriment. 

Quelles sont vos craintes et vos espoirs pour ce Roland-Garros 2021 ?

Je crains que la pandémie impose de nouvelles mesures de dernière minute qui viendraient modifier la fête. Et l’espoir c’est que Roland-Garros 2021 soit un feu d’artifice, même sans (la jauge maximale des) 38.000 spectateurs (par jour) dans le stade. Mais que ce soit quand même la fête, le retour à la vie. C’est tout ce que je peux espérer, avec un beau spectacle et de beaux vainqueurs.

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