Nadal, Federer, Djokovic ou un autre ? Le « GOAT », débat sans fin à la pertinence contestable

Sacré à Roland-Garros dimanche dernier, Rafael Nadal a rejoint Roger Federer au sommet de la hiérarchie des joueurs comptant le plus de titres en Grand Chelem (20 chacun). L’un des deux serait donc le « GOAT » du tennis, mais lequel ? A défaut de trancher, Tennis Majors explique pourquoi ces débats récurrents recèlent d’indéniables limites.

The GOAT debate : Rafael Nadal, Roger Federer, Rod Laver, Novak Djokovic, Pete Sampras The GOAT debate : Rafael Nadal, Roger Federer, Rod Laver, Novak Djokovic, Pete Sampras

En signant une retentissante victoire contre Novak Djokovic dimanche (6-0, 6-2, 7-5) en finale du tournoi de Roland-Garros, Rafael Nadal n’a pas seulement soulevé la coupe des Mousquetaires pour la treizième fois de sa carrière. Il a aussi et surtout égalé Roger Federer, jusque-là seul recordman du nombre de titres remportés en Grand Chelem (20). Le sempiternel débat autour du « GOAT » s’est retrouvé relancé par la disparition de cet avantage absolu du Suisse.

Federer, Nadal and Djokovic's Slam to date (Oct 2020)

Initialement utilisé pour rendre hommage à Mohamed Ali, l’acronyme « GOAT » (« greatest of all-time », « le meilleur de tous les temps » en VF) est désormais bien compris par tous les fans de sport, en particulier sur les réseaux sociaux. Chercher à savoir quel joueur est le meilleur de l’histoire n’a, au fond, rien d’aberrant. A fortiori dans une société où tout, des individus aux produits de consommation, fait l’objet d’une comparaison permanente, et dans un sport, le tennis, où le principe même est d’être meilleur que tous les autres toutes les semaines (dans un match, dans un tournoi, dans une saison). Aussi passionnant – et passionné ! – puisse-t-il être, ce débat appliqué au tennis manque de pertinence.

Attention aux jugements prématurés

D’abord, Rafael Nadal et Roger Federer n’ont tout simplement pas encore fini d’écrire leur histoire.

D’ici un an, la situation aura potentiellement évolué. L’un et/ou l’autre auront peut-être décroché une 21e couronne majeure, ce qui affectera forcément la lecture que l’on pourra faire de leurs carrières. Sans oublier que Novak Djokovic, qui talonne les deux légendes précitées de près (17 Grands Chelems remportés) et n’a « que » 33 ans, va peut-être aller plus loin encore. En d’autres termes, afin de juger au mieux le parcours d’un champion, il est préférable d’attendre qu’il ait pris sa retraite. Federer a ainsi repoussé les limites de la longévité en remporté son dernier titre du Grand Chelem (à ce jour) à 37 ans, à l’Open d’Australie 2018. Ce qui laisse présager d’autres titres à venir pour Nadal (34 ans), dont la domination sur terre battue ne se dément toujours pas, et Djokovic (33 ans), qui réduit l’écart avec ses deux aînés depuis une décennie tout en régnant sur le tennis mondial quasi sans partage depuis trois ans.

Future age of Federer, Nadal and Djokovic in a table

Le piège de la vision court-termiste

Par ailleurs, restreindre le choix à seulement trois options (Nadal, Federer et Djokovic) revient à faire bien peu de cas de tous les autres joueurs qui, au cours des décennies passées, ont également laissé leur empreinte, sans gagner autant de Grands Chelems. C’est là un autre écueil de tous ces débats relatifs au fameux « GOAT » : se focaliser sur les joueurs de notre temps, se laisser happer par la culture de l’instant. Parce que leurs souvenirs plus anciens sont trop flous, ou tout simplement car ils n’étaient pas nés lorsque d’autres grands noms de la discipline étaient au firmament.

Se focaliser sur Nadal, Federer et Djokovic, c’est s’interdire de mentionner Rod Laver, Pete Sampras ou d’autres. L’Australien, par exemple, est régulièrement oublié des discussions. Il a pourtant réalisé deux Grands Chelems calendaires (1962, 1969), reste le seul à l’avoir réalisé dans l’ère Open et aurait probablement bien plus de titres majeurs à son palmarès que ses onze s’il n’avait pas été interdit de participer aux tournois du Grand Chelem de 1963 à 1967. Tout ça pour être passé professionnel avant que ce ne soit la norme.

Rod Laver's roll of honours

Pour Michael Jordan, dont le nom est systématiquement cité dès qu’il s’agit d’évoquer le « GOAT » de la NBA, mettre en lumière un joueur au détriment de ses prédécesseurs est même « injuste » :

« Tous les comparer et affirmer que l’un est meilleur que l’autre, c’est injuste pour l’art, pour les artistes. Magic Johnson, Wilt Chamberlain, tous ces joueurs qui m’ont précédé étaient des artistes du basket. Nous avons tous appris d’eux et, dans une certaine mesure, fait avancer notre sport. Dire qu’une individualité se distingue des autres revient à dresser un jugement injuste. »

Les comparaisons intergénérationnelles sont par définition très délicates à établir. Prenons l’exemple du tennis féminin. Serena Williams (23) ne compte qu’un titre de moins que Margaret Court en Grand Chelem (24). Mais l’Américaine joue toujours sur le circuit, alors que l’Australienne s’est arrêtée de jouer au milieu des années 1970. Qualité du matériel et des courts, développement des entraînements et de la récupération… En plus de 30 ans, le tennis a considérablement évolué, et les performances des deux joueuses peuvent désormais paraître incomparables. D’autant que Court a remporté 11 fois l’Open d’Australie, souvent face à une faible concurrence, les meilleures ne faisant pas toujours le déplacement jusqu’à l’autre bout du monde.

Prendre de la hauteur… et relativiser

Martina Navratilova, elle-même candidate au titre honorifique de « GOAT » avec ses neuf titres à Wimbledon et ses 167 titres en carrière, explique bien la différence entre son époque et les temps modernes.

“L’Open d’Australie n’était pas très important, et le prize-money était si faible, nous gagnions mieux notre vie en disputant des tournois classiques qu’en allant jusqu’en Australie, rappelle-t-elle. Les Grands Chelems sont devenus la référence à compter des années 90. Si vous ne prenez que ça en compte, Serena est la « GOAT ». Si vous prenez d’autres critères, ce serait moi ou Steffi Graf, peut-être Margaret Court. Ça dépend simplement de vos critères.”

Martina Navratilova, WImbledon 1979

Selon ceux pris en considération, Björn Borg pourrait être candidat, pour son ultra-domination de 1974 à 1981 (11 titres du Grand Chelem), que sa retraite prise à 25 ans a stoppé de fait. Quid de Pete Sampras, qui a remporté 14 des 52 tournois majeurs qu’il a disputés en carrière ? Et de Steffi Graf, victorieuse de 22 des 54 Grands Chelems, soit un ratio exceptionnel d’un sur 2,5 ?

Se demander qui est le « GOAT », c’est aboutir à des comparaisons prématurées, biaisées, peu crédibles et, en définitive, guère pertinentes.

Parce que de cette manière, en prenant de la hauteur et le temps de réfléchir, nous pouvons mieux discerner l’ampleur de la trace qu’un champion a pu laisser dans l’histoire, d’une discipline en particulier et du sport en général.

Surtout, il convient de relativiser. Chaque fan de tennis a son propre avis sur la question, et s’il est acquis, par exemple, que Rafael Nadal, avec ses 13 victoires (contre 6 à Borg), est le plus grand joueur à avoir joué sur terre battue, aucune donnée ne permet à ce jour de déterminer un « GOAT » universel du tennis. Et c’est bien mieux ainsi.

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