Colosse mental et tactique, Medvedev renverse Zverev en demi-finale de l’Open d’Australie

Mené deux sets à zéro par Alexander Zverev, Daniil Medvedev s’est finalement imposé pour rejoindre Jannik Sinner en finale de l’Open d’Australie.

Daniil Medvedev, Open d'Australie 2024 Daniil Medvedev, après sa victoire contre Alexander Zverev en demi-finale de l’Open d’Australie 2024 (Virginie Bouyer / Panoramic)
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Daniil Medvedev : Je n’ai plus de jambes.
– Gilles Cervara : Allez ! Engage-toi dans le match maintenant !

Au moment de cet échange avec son coach, le numéro 3 mondial était mené deux sets zéro, et 30-0 sur le service adverse dans le troisième. Le match était plié, pouvait-on alors penser, à l’instar de Nick Kyrgios aux commentaires pour Eurosport. “J’avais dit à Gilles (Cervara) qu’il (Daniil Medvedev) avait un potentiel mental monstrueux, c’est-à-dire une capacité rare à explorer ses pensées profondes”. Tels avaient été les mots, en 2021, de Francisca Dauzet, psychanalyste et accompagnatrice de la performance qui a travaillé avec le Russe, pour nous décrire son ressenti après ses premières séances avec ce dernier.

Ce vendredi en demi-finale de l’Open d’Australie, l’actuel numéro 3 mondial a une nouvelle fois fait preuve de ses ressources psychiques hors du commun. Au point d’avoir retourné la situation et de s’imposer 5-7, 3-6, 7-6⁴, 7-6⁵, 6-3 en 4h18 contre Alexander Zverev. Pour la quatrième fois de sa carrière et la deuxième depuis le début du tournoi, il a remonté un handicap de deux manches. De quoi s’offrir sa sixième qualification pour une finale de Grand Chelem, la troisième à Melbourne, et l’opportunité d’en remporter une deuxième après celle de l’US Open 2021.

Je me suis dit : ‘OK, je peux perdre, mais je veux être fier à la fin.’

Daniil Medvedev, alors qu’il était mené deux set à zéro.

“Dans le premier set, je pense que nous n’avons tous les deux pas bien joué”, a analysé le joueur de 27 ans au micro de Jim Courier lors de l’interview sur le court. “Le deuxième, c’était mieux, lui a très bien joué. Je n’avais pas d’opportunité sur son service. J’étais un peu perdu. Je me suis dit : ‘OK, je peux perdre, mais je veux être fier à la fin, en me battant sur chaque point. Et finalement j’ai gagné, donc je suis très fier (sourire). Dans le troisième, je me sentais vraiment fatigué, donc j’ai voulu être plus agressif. Si ça fonctionnait tant mieux, sinon tant pis. J’ai aussi commencé à mieux servir.”

Une analyse, à chaud, impressionnante de lucidité après une empoignade éreintante pour décrire un petit exploit : il est devenu le deuxième joueur, seulement, à battre Zverev après avoir eu deux rounds de retard. Et le premier, Dominic Thiem, l’avait fait dans un contexte encore plus particulier : la finale de l’US Open 2020. Un duel fascinant par son côté presque amateur. Des tribunes vides – foutue pandémie –, et deux hommes tremblant tour à tour – c’est bien humain lorsqu’on chasse son premier Majeur – au moment de conclure. À base de doubles fautes et de frappes “pousse-balle”, tels deux 15/3 s’affrontant dans un tournoi perdu au fin fond du Cantal. Sans faire injure aux joueurs de troisième série (dont l’auteur de ces lignes fait partie), ni au Cantal.

Mais revenons à nos moutons, Medvedev et Zverev. Et, avant de finir comme le loup de l’histoire, le surnommé “Danya” a d’abord eu des allures d’agneau. Rapidement mené 4-1 double break – il a notamment commis cinq double fautes dans le set d’ouverture -, le Moscovite s’est fait dévorer pendant l’entrée. Puis, instaurant des rallyes, tissant sa toile faite de balles “cotonneuses”, l’araignée a réussi à emberlificoter son adversaire pour l’embarquer dans une fin de manche épique. À 4-5, 30-30, avant de convertir son occasion de deuxième débreak, il a notamment remporté un échange de 34 frappes. Épastrouillant, certes, mais pas le plus exténuant du duel.

Rallyes éreintants

Après avoir de nouveau cédé son engagement à 5-5 – en manquant un peu de réussite : un let de Zverev que Medvedev n’a pu que remettre difficilement avant d’être tranquillement lobé – l’ancien numéro 1 mondial a remporté un bras de fer de 40 coups à 5-6, 40-40. Ne parvenant pas à concrétiser son opportunité de troisième débreak, il a ensuite perdu, de nouveau à 40-40, le point du match. Le “point sans fin” : 51 frappes, conclues par son opposant en allant vers l’avant pour réussir une demi-volée touchée par la grâce.

Dans le deuxième round, le protégé de Gilles Cervara a continué à appliquer la stratégie qui lui avait permis de revenir dans le combat. Faire durer, “absorber”, notamment avec son revers, le rythme mis par le 6e de la hiérarchie planétaire afin de ne pas lui permettre de s’appuyer sur ses balles. Mais il a vu Zverev, connu lui aussi pour sa régularité de fond de court, se montrer patient avant de s’engouffrer à merveilles dans les brèches de la muraille Medvedev pour accélérer et venir finir régulièrement au filet.

Résultat, dans le quatrième set, Medvedev, sentant ses cannes moins à même de l’emmener au bout du monde alors qu’il avait déjà disputé une joute de 4h18, une de 3h59 et une autre de 3h07 depuis le début de la quinzaine, a changé ses plans. Si les rallyes exténuant n’ont pas totalement disparu, il s’est mis à prendre la balle plus tôt, à relancer plus fréquemment en étant davantage proche de sa ligne, à prendre plus d’initiatives, à placer des amorties et à monter au filet. Choix payant.

Medvedev, le changement tactique

S’il n’a pas réussi à prendre le service du natif d’Hambourg dans les troisième et quatrième sets, “Meddy” – dixit les anglophones – a été un ton au-dessus dans le jeu : aucune balle de break concédée ; cinq en sa faveur, trois dans la troisième manche, deux dans la quatrième. Et, finalement, la logique a été respectée dans les deux tie-breaks, les cinquième et sixième de suite remportés par Medvedev contre Zverev. Avec un brin de réussite.

Dans le jeu décisif du quatrième acte, le futur vainqueur a offert le mini-break sur une double faute, sa sixième, alors qu’il n’en avait plus commis depuis le premier set. De quoi être mené 5-4, deux services à suivre pour son rival. Visage impassible, il a alors aligné trois points de suite. En terminant sur un ace, et après un retour amorti sublime. Mais involontaire. “J’ai été chanceux, je voulais slicer mas j’ai un peu décentré et je pensais que la balle irait à peine jusqu’au filet”, a-t-il reconnu devant le public. “Mais parfois, il faut un peu de chance. C’était mon jour.”

Un peu plus tôt, à 5-7, 3-6, 7-6⁴, 6-5 et 15-0 service Zverev, Medvedev avait un tantinet irrité ce dernier. En tenant absolument à revoir le point à la vidéo – par curiosité, pas en challenge correctif, sachant que l’arbitrage est électronique à Melbourne – malgré le fait que celle-ci tardait à arriver. “Il veut juste perturber le jeu”, s’est alors plaint, auprès de l’arbitre, un Zverev craignant de voir le diable du doute revenir danser sous son crâne. Celui de Monte-Carlo 2023, lorsque, battu en quart de finale malgré des balles de match, il avait ensuite qualifié Medvedev comme “l’un des joueurs les moins fair-play au monde” en l’accusant d’avoir fait le cirque sur le court dans l’unique but de le déstabiliser.

Il (Jannik Sinner) est impressionnant, il a gagné 6-1, 6-2 (dans les deux premiers sets) contre Novak (Djokovic) qui avait gagné ses dix demi-finales précédentes à Melbourne.

Daniil Medvedev, qui affrontera Jannik Sinner en finale de l’Open d’Australie

Ayant pris l’ascendant psychologique face à un Allemand lui aussi entamé physiquement et qui jouait sa quatrième partie de plus de 4h depuis le début du tournoi, Medvedev n’a pas relâché l’étreinte lors du dénouement. À 2-2, sur sa troisième tentative dans ce jeu, il a réussi le premier break de la rencontre depuis la fin du deuxième set. Implacable, il a conservé son avantage, et l’a même accru en parvenant à prendre une nouvelle fois l’engagement de Zverev pour plier l’affaire.

Dimanche, il a rendez-vous avec le tombeur de Novak Djokovic, Jannik Sinner, pour sa première finale de Grand Chelem face à un joueur autre que le monument serbe ou Rafael Nadal. Face à l’Espagnol, lors de l’Open d’Australie 2021, alors qu’il touchait le paradis du doigt, il avait vécu un enfer sur la Rod Laver Arena. Défaite après avoir mené 6-2, 7-6, 3-2 et 0-40 sur le service de l’Espagnol. Le revers le plus difficile à avaler de sa carrière, de son propre aveu, qu’il avait mis un an à digérer totalement. Sur ce même court, il a peut-être définitivement exorcisé ses vieux démons.

Grâce à une performance digne d’un sorcellerie mentale, dont il aura sans doute à nouveau besoin pour vaincre Sinner. Un 4e mondial “impressionnant, ayant gagné 6-1, 6-2 (dans les deux premiers set) contre Novak (Djokovic) qui avait remporté ses dix demie-finales précédentes ici (à l’Open d’Australie)”, comme l’a souligné Medvedev. Un Italien, face auquel il reste sur trois défaites, jouant le meilleur tennis de sa vie et débarquant en finale totalement frais : seul Djokovic lui a pris un set depuis le début du tournoi.

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