La PTPA de Djokovic : qui est pour, qui est contre ?

Plus de sept mois après sa création par Novak Djokovic, la PTPA, syndicat de joueurs alternatif à l’ATP, continue de diviser les joueurs. Ces divisions s’amplifient au cours du tournoi de Miami, où la question du prize money rend les joueurs très tendus.

Djokovic, Nadal, 2020 © Panoramic

Le conflit est ouvert et il rebondit désormais une fois par trimestre environ. Lancé à l’été 2020, identifié comme un ennemi de l’ATP lors du Masters trois mois plus tard, tourné en dérision par Andrea Gaudenzi fin mars 2021 à Miami, le groupe de défense des intérêts des joueurs créé par Novak Djokovic et Vasek Pospisil est devenu un sujet de tension majeur dans le circuit masculin de tennis.

La PTPA (Professional Tennis Players Association) refuse le nom de syndicat mais il est difficile de le voir autrement : il se présente comme un groupe de défense des intérêts des joueurs pro, le seul et le premier centré uniquement sur les intérêts des joueurs.

Depuis novembre, on sait qu’il est impossible pour un joueur, d’être soutien de la PTPA et légitimiste avec l’ATP. Novak Djokovic avait indiqué, après sa défaite contre Daniil Medvedev en phase de poules du Masters 2020, que l’ATP ne lui permettait pas de se présenter au Conseil des joueurs s’il faisait partie d’un autre groupe.

Quelques semaines plus tard, Kevin Anderson nous avait confirmé, au nom des joueurs présents au conseil, qu’il lui semblait impossible de travailler avec la PTPA.

Le circuit masculin est profondément divisé sur le sujet, qui prend beaucoup d’énergie aux joueurs en coulisses. Avant d’évaluer l’état des soutiens, comme nous l’avons promis dans cet article, rappelons exactement qui est qui, qui promet quoi et quelles sont les lignes de fractures entre PTPA et ATP. Elles sont très peu claires, comme le reconnaissent les intéressés. Le 27 mars, le journaliste Ben Rothenberg a conseillé publiquement à la PTPA d’embaucher un pro de la comm’ pour rendre son message audible. Ce qui a été officialisé le mardi 22 juin, avec aussi la nomination d’un directeur général.

  • C’est quoi la PTPA ? C’est une association de défense des intérêts des joueurs professionnels distincte de l’ATP officiellement née en août 2020, pour défendre les intérêts des joueurs (et même des joueuses, nous avait dit Vasek Pospisil). Elle s’est donnée pour mission de représenter le top 500 du tennis masculin, et les 200 meilleurs joueurs en double. Leur constat est que l’ATP représente à la fois les intérêts des joueurs et des organisateurs de tournoi. Ils estiment que la parole des joueurs pros est trop peu audible dans cette structure et que l’information sur la répartition des revenus n’est pas assez transparente. Sans faire mention officielle à la PTPA, John Isner avait indiqué publiquement que l’ATP était “un système à bout”, déclaration après laquelle l’ATP avait cherché à faire œuvre de transparence sur sa gestion du COVID et la répartition des revenus.
  • C’est quoi l’ATP ? L’ATP administre le circuit de tennis masculin depuis plus de trente ans désormais. Elle gère l’ATP Tour, ainsi que les tournois Challenger, la “deuxième division” du tennis masculin. Elle décide ainsi du calendrier et attribue les catégories de tournois (Masters 1000, ATP 500, ATP 250). Elle a aussi la responsabilité du Masters en fin de saison. En revanche, elle n’a aucun pouvoir sur les quatre tournois du Grand Chelem, placés sous l’égide de la Fédération internationale (ITF) et la maîtrise d’organisateurs indépendants. L’ATP a été fondée en 1972, précisément comme la première structure de défense des intérêts des joueurs contre les organisateurs de tournois (ITF, circuits privés) qui avaient trop de pouvoir sur le calendrier. Le pouvoir de l’ATP est devenu si puissant qu’en 1990, elle en a eu assez pour administrer tout le circuit masculin, les joueurs décidant d’un commun accord de ne plus participer à un seul tournoi qui ne soit pas géré par l’ATP. Le nouveau circuit avait été présenté par le président de l’ATP Hamilton Jordan, ancien chef de cabinet de Jimmy Carter à la Maison Blanche, lors d’une conférence de presse restée célèbre, tenue sur le parking de l’US Open. L’idée fondatrice derrière cette fondation est de donner le pouvoir aux joueurs et aux directeurs de tournois, représentés à 50-50 au sein de cette nouvelle structure de l’ATP. Depuis cette époque, l’ATP est un organisateur d’événement sportif au service des joueurs pro.
  • Quelles différences entre la PTPA et l’ATP ? L’ATP a mal accueilli la nouvelle de la création de la PTPA. Elle considère cette initiative comme une menace. Elle a exhorté les joueurs à ne pas la soutenir, selon le New York Times. « La question d’une association séparée est un sujet extrêmement important qui ne doit pas être prise à la légère, a écrit Andrea Gaudenzi, le président de l’ATP, dans un email envoyé à l’ensemble des joueurs. Se joindre à elle remettrait en question l’existence de l’ATP, qui s’est construite sur le principe d’un partenariat égal entre les joueurs et les tournois depuis trente ans. » Mais de nombreux joueurs estiment que l’ATP est désormais dominée de façon latente, à défaut de l’être de droit, par les tournois, voire par la bureaucratie même de l’ATP. Ils lui reprochent aussi d’avoir été discrète voire absente ces derniers mois, lors de crise sanitaire (Gasquet avait parlé de « catastrophe »). Dans un document obtenu par le New York Times, les joueurs de l’association ont précisé que « le but de la PTPA (l’association), n’est pas de remplacer l’ATP, mais de fournir aux joueurs une structure d’auto-gouvernance, indépendante de l’ATP. »

D’emblée, la PTPA n’a pas fait l’unanimité. Certains joueurs, comme Diego Schwartzman et Milos Raonic, s’y sont au contraire montrés favorables dès la création, fin août, quand des cadors comme Rafael Nadal, Andy Murray ou encore Dominic Thiem s’y sont opposés. Djokovic a assuré, pendant Roland-Garros, avoir consulté 500 joueurs, les 350 meilleurs en simple et les 150 meilleurs en double, et que 80% d’entre eux étaient favorables au projet. 75% ont même signé le document d’affiliation, d’après Djokovic, sans que les noms n’aient encore filtré. Voici le relevé le plus précis possible des joueurs favorables et défavorables à la nouvelle structure.

Ils sont pour la PTPA

La photo a fait sensation. Samedi 29 août, vers 20 heures, Novak Djokovic a annoncé sur les réseaux sociaux la création de la PTPA, avec une photo d’une soixantaine de joueurs sur le court Arthur-Ashe, à Flushing Meadows.

 « Après la réunion d’aujourd’hui couronnée de succès, je suis excité de vous annoncer la création de la PTPA. Le premier syndicat dans le tennis composé uniquement de joueurs depuis 1972 », a écrit Djokovic.

 

 
 
 
 
 
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Parmi eux, Vasek Pospisil (co-fondateur officieux), John Isner, Matteo Berrettini, Hubert Hurkacz, ou encore Diego Schwartzman. Ce dernier s’est exprimé à ce sujet durant sa semaine au Masters de Londres :

« Je veux être clair : de mon point de vue, nous ne nous battons pas contre l’ATP, à vrai dire nous ne sommes absolument pas contre elle. Nous essayons juste de travailler ensemble et d’avoir, peut-être, une voix plus forte. (…) Notre objectif, c’est de faire du tennis un meilleur sport pour tout le monde. Rien d’autre. »

L’Américain Sam Querrey, ancien Top 30 présent sur le circuit depuis 2006, a apporté tout son soutien à Nole en marge de l’US Open :

« Je ne suis plus au conseil (de l’ATP), je suis pour l’association (PTPA). Je pense qu’en fin de compte, ce sera une bonne chose d’avoir une association. Les gars la veulent depuis vingt ans. J’espère que les choses se mettent en marche, que ce sera la première étape et qu’elle pourra obtenir un certain succès en mettant en place quelques principes fondamentaux et en obtenant des changements de règlement. »

Milos Raonic, demi-finaliste au Rolex Paris Masters, a lui aussi pris parti pour ce nouveau syndicat, dans un entretien exclusif accordé à Tennis Majors pendant l’US Open.

« Je soutiens la PTPA parce que j’ai le sentiment que certaines composantes de la structure actuelle (l’ATP), depuis que je suis sur le circuit, n’ont pas nécessairement amené les bénéfices que nous souhaitions. Je ne pense pas que ce soit un combat de quelque nature que ce soit… Je pense que beaucoup d’entre nous sommes maintenant beaucoup plus sur la même longueur d’onde et nous voulons être représentés de manière unifiée. Il y a eu des choses – j’ai exprimé mon opinion sur certains aspect qui se sont passés même durant la crise du coronavirus, qui a été bouleversante, par notre organisation – mais je ne cherche pas à choisir ces combats. Je pense qu’il est bon que nous ayons une voix unifiée à ce sujet. »

Milos Raonic, Rolex Paris Masters 2020

A Flushing Meadows, Alexander Zverev avait également un avis très favorable envers l’initiative du numéro 1 mondial :

« Je n’ai pas signé le papier. Mais je pense que c’est une bonne chose que les joueurs veuillent se réunir. Je pense que c’est formidable que nous puissions être plus unis. Que quelqu’un signe le papier ou non, c’est sa décision. Mais je dois donner du crédit à Novak et à Vasek, parce qu’un numéro un mondial a autre chose à faire que de s’occuper de réunir les joueurs ou quelque chose comme ça, non pas dans un syndicat, mais au sein d’une association. Dans sa position, pour être honnête, il n’a pas besoin de le faire. Il n’a tout simplement pas besoin de le faire. Il peut se détendre et ne rien faire, et tout ira bien. Mais il se soucie des autres joueurs, ce qui est très bien, je pense. »

Durant l’US Open, Felix Auger-Aliassime s’est lui aussi prononcé sur cette nouvelle association, tout en restant plus prudent.

« Il y a eu beaucoup de discussions récemment au sein du groupe de ces acteurs. Ce n’est qu’un début. Nous verrons bien où cela nous mènera. Je suis vraiment jeune dans ce domaine. J’aime l’unité des joueurs. Je suis pour ce mouvement, mais en même temps, ce n’est qu’un début et nous verrons où cela nous mènera. Je n’ai pas plus à dire pour l’instant sur cette question. »

Felix Auger-Aliassime, UTS 2020

Les rangs ont grossi au tournoi de Miami, en mars 2021. A l’issue d’un incident qui a vu Vasek Pospisil s’en prendre au président de l’ATP, Andrea Gaudenzi, en plein match à Miami, de nombreux joueurs sont venus au secours du Canadien, clamant en même temps leur soutien à la PTPA, avec le #playersvoice (“la voix des joueurs”). Ivo Karlovic, Steve Johnson, Ryan Harrison, Taro Daniel (et son entraîneur Sven Groeneveld) ou encore Rajeev Ram, dont on ne connaissait pas clairement la position, se sont officiellement rangés du côté de la PTPA.

“Ce qu’il s’est passé sur le court avec Pospisil est regrettable. Je n’étais pas à la réunion mais, d’après ce que j’ai entendu des joueurs qui étaient présents, il est plus évident que jamais que nous avons besoin d’une association réservée aux joueurs. #playersvoice #ptpa”

“Nous devons commencer à soutenir l’unité des joueurs sur le circuit. Avec les événements qui ont eu lieu à Miami avec nos dirigeants, nous avons plus que jamais besoin d’une #playersvoice, le temps pour les joueurs de se soutenir !”

“Vasek Pospisil est un type formidable au cœur énorme. Il a passé d’innombrables heures à travailler au nom de tous les joueurs. On peut parfois être écrasé sur le terrain par le stress qu’on ramène de l’extérieur. Il est temps que les voix des joueurs soient entendues. #playersvoice #PTPA”

“Ce qui est arrivé à Vasek aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre nous. Ce n’était pas bien et cela doit changer. #playersvoice.”

Ils sont contre la PTPA

Le jour même de la création, un cinglant communiqué a été signé par les représentants de l’ATP, Kevin Anderson, Roger Federer, Jurgen Melzer, Rafael Nadal, Sam Querrey et Bruno Soares.

« Nous n’approuvons pas la création d’une nouvelle association de joueurs. Une nouvelle association de joueurs ne peut exister en parallèle de l’ATP. (…) Nous sommes contre cette proposition, on ne voit pas comment elle peut bénéficier aux joueurs. »

Rafael Nadal, interrogé à ce propos durant le Masters de Londres, a appuyé ce qui est écrit dans le communiqué.

« Ce n’est pas parce qu’ils ont créé cette organisation qu’ils aident le tennis plus que les autres joueurs qui croient en la structure habituelle. Si nous avons vécu des situations positives, c’est grâce à l’implication de Roger, la mienne, mais aussi Novak et Andy, car on a toujours eu le souci de demander aux autres ce dont ils avaient besoin. Si nous comparons les revenus d’il y a cinq, six, sept ou huit ans à aujourd’hui, il est clair que nous avons considérablement réduit l’écart entre les joueurs les moins bien classés et les meilleurs. Nous savons que nous devons continuer à travailler là-dessus, mais nous ne considérons pas qu’une autre organisation soit nécessaire. »

L’Espagnol avait déjà fait part de son opinion dans cette année marquée par la pandémie de Covid-19. Pour lui, le moment était davantage propice à l’unité qu’à la division. Et Roger Federer lui-même avait abondé dans le sens de son meilleur ennemi dans un tweet :

« Nous vivons des temps incertains et difficiles, mais je crois qu’il est essentiel pour nous de rester unis en tant que joueurs, et en tant que sport, pour préparer la meilleure voie à suivre. »

Dominic Thiem a lui aussi rendu un hommage à l’ATP en fermant la porte à la PTPA au cours de ce Masters.

« J’aime ce que l’ATP fait. D’une manière générale, c’est du très bon boulot. De mon point de vue, il n’y a donc aucune raison de rejoindre une autre organisation, ou quelque chose de ce genre. »

Son agent, Herwig Straka, qui est également membre du conseil d’administration de l’ATP et directeur du tournoi de l’Open de Vienne, a critiqué la PTPA et notamment Vasek Pospisil, qui avait insulté le président de l’ATP Andrea Gaudenzi lors du Masters 1000 de Miami 2021.

“Nulle part ailleurs il n’y a une telle équité. L’attitude de Pospisil et des membres du PTPA est injustifiable et honteuse parce que l’ATP est une organisation sérieuse dans laquelle les acteurs pèsent 50% sur les décisions.”

Dominic Thiem - Londres 2020

En tant que président du Conseil des joueurs de l’ATP, Kevin Anderson a un avis tranché sur la question :

« Je pense personnellement que les deux entités ne peuvent pas coexister. Nous avons notre structure telle qu’elle est. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de choses qui doivent être améliorées. J’ai toujours dit cela. J’ai l’impression que nous avons réussi à accomplir beaucoup de choses au sein de la structure. J’ai l’impression que la nouvelle direction qui est entrée en fonction, sa vision est vraiment passionnante. Il y a beaucoup de questions sans réponse. Au fil des semaines, j’espère que nous aurons une meilleure compréhension et une meilleure idée de ce qu’est exactement la PTPA. Il est évident qu’il y a beaucoup de joueurs, mais comment va-t-on faire pour représenter les joueurs au sein du circuit ? »

Andy Murray fait aussi partie de ceux qui n’adhèrent pas au projet du meilleur joueur serbe de l’histoire. Durant l’US Open, le Britannique a notamment invoqué le fait que les femmes ne font pas encore partie intégrante de cette nouvelle association, même si cela a été annoncé fin août. Comme beaucoup, il attend de voir.

« Je ne suis pas contre une association de joueurs, mais il y a deux raisons principales qui me guideront dans mon choix. Premièrement, je pense que la direction actuelle devrait prendre plus de temps pour faire connaître sa vision avant de courir après des soutiens et des signatures. Ensuite, il y a le fait que les femmes n’en font pas partie. Intégrer les femmes enverrait un message beaucoup plus puissant. Ce n’est pas ce que nous avons actuellement. Si ces choses changent à l’avenir, faire partie de l’association est quelque chose que je reconsidérerai vraiment. »

Feliciano Lopez, qui est par ailleurs directeur du tournoi de Madrid, s’est révélé être un pro-ATP lors d’une réponse à un tweet de Rajeev Ram.

“Rajeev, tu es une personne raisonnable. Seuls quelques joueurs l’ouvrent et même si leur message est populaire, il n’a aucune substance en réalité. On ne peut pas balayer tout ce qu’on a obtenu ces dernières années en avançant unis.”

Tous les joueurs ne se sont pas positionnés sur le sujet, loin de là. Les moins de 25 ans semblent notamment avoir du mal à se situer.

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