Pour revenir parmi les meilleures, Caroline Garcia devrait se redire qu’elle n’en fait pas partie

Battue par Sorana Cirstea à Miami comme à Indian Wells, Caroline Garcia a bouclé un premier trimestre mitigé lors duquel elle n’a jamais trouvé le relâchement qui l’avait portée à proximité des sommets fin 2022. Pour reprendre le cours de son ascension, la Française aurait sans doute intérêt à lâcher un peu de lest.

Caroline Garcia Indian Wells coup droit ©Antoine Couvercelle / Panoramic

La fin de la tournée américaine, synonyme de fin du premier trimestre, sonne un peu comme l’heure d’un premier bilan de la saison tennistique. Celui de Caroline Garcia n’est pas mauvais, loin de là. La Française s’est certes manquée sur cette tournée, avec deux défaites face à Sorana Cirstea en huitièmes de finale à Indian Wells puis d’entrée à Miami. Mais elle a tout de même disputé deux finales (Lyon et Monterrey), atteint la deuxième semaine à l’Open d’Australie et figure encore virtuellement à la 10e place à la Race, en attendant la fin de Miami.

On en connaît beaucoup qui s’en satisferaient, à commencer par “Caro” elle-même l’année dernière à la même époque, quand elle avait quitté ce même tournoi de Miami en larmes, touchée au pied, incapable d’exercer correctement son métier et redescendue dans les abîmes du classement.

La suite, on la connaît. Un retour plein d’allégresse à Roland-Garros avec un titre en double assez inattendu aux côtés de Kristina Mladenovic, puis une renaissance en deuxième partie de saison avec quatre titres sur quatre surfaces différentes dont cette fin en apothéose au Masters, et entre-temps une première demi-finale en Grand Chelem à l’US Open puis, plus tard, un retour à la 4e place mondiale, son meilleur classement, qu’elle avait déjà atteint en 2018 sans jamais l’avoir vraiment digéré.

Sur les six derniers mois de la saison 2022, c’est bien simple : la Lyonnaise a marqué plus de points que quiconque sur le circuit féminin. Et c’est de là, sans doute, qu’est reparti le grand malentendu qui circule depuis toujours à son sujet – merci Andy Murray et son fameux tweet de 2011 qui lui colle au front depuis : celui selon lequel elle aurait tout pour devenir très vite la prochaine numéro 1 mondiale.

A propos de malentendu, que l’on s’entende bien ici : la Française a peut-être bel et bien le potentiel pour être l’une des meilleures joueuses du monde, sinon la meilleure. Mais la réalité est qu’elle n’en fait pas encore vraiment partie, alors qu’elle est jugée comme telle. Même si son classement la place à proximité immédiate du gotha, c’est aussi un peu en trompe-l’œil. Dans les faits, “Caro” demeure assez loin du “Big Three” actuel du tennis féminin, Iga Swiatek, Aryna Sabalenka et Elena Rybakina, voire de joueuses comme Ons Jabeur ou Coco Gauff qui ont déjà disputé une ou des finales en Grand Chelem, ce qui n’est pas son cas.    

Comment “attendre” d’une joueuse qu’elle gagne un Grand Chelem alors qu’elle n’a joué qu’une seule demie dans sa carrière ?

Depuis le début de la saison, Caroline Garcia a rappelé à plusieurs reprises, au gré de différentes interviews ou conférences de presse, la difficulté qu’il y a pour elle de composer avec le poids des attentes, celles qu’elle a vis-à-vis d’elle-même et celles qui viennent de l’extérieur.

Mais c’est peut-être aussi parce que ces attentes sont en décalage avec un certain pragmatisme : comment “attendre” déjà d’une joueuse qu’elle gagne un Grand Chelem alors qu’elle n’a encore joué qu’une seule demie dans sa carrière ? Pourquoi faire la fine bouche devant un huitième de finale atteint à l’Open d’Australie de la part d’une joueuse qui n’a jamais fait mieux à Melbourne ? Il y a eu sans doute, à son sujet, un emballement général y compris médiatique qui ne l’a pas aidée.

Bien sûr, viser toujours plus haut est la base de toute ambition. Mais l’ambition ne doit pas être confondue avec une obligation de résultats. Il semble que Caroline Garcia soit le genre de joueuses qui ne parvient pas à performer lorsqu’elle se sent “obligée” de performer. Comme tous les sportifs, du reste. Mais peut-être encore plus que quiconque.

Depuis le début de l’année, nouée par cette fichue pancarte qu’on lui a de nouveau flanquée sur le dos, elle ne cesse de dénoncer cette incapacité à se relâcher, à jouer de manière libre et relâchée. C’était déjà le cas en 2018, lors de sa première percée parmi l’élite. A 29 ans, elle le gère mieux cette fois. Mais pas suffisamment, et pour cause : c’est quelque chose d’impossible à gérer.

De plus, Garcia a vu deux membres importants de son staff et de sa réussite en 2022 s’en aller. Bertrand Perret, son ancien entraîneur, avait décidé de se séparer de la Lyonnaise juste avant le Masters de fin d’année et en ce samedi 25 mars, Laura Legoupil, sa physiothérapeute a pris la même décision.

Du haut de ses 19 ans, Carlos Alcaraz a rappelé une leçon élémentaire de la performance après son sacre récent à Indian Wells : s’il joue bien, c’est certes parce qu’il sait très bien frapper des coups droits et des revers, mais c’est avant tout parce qu’il continue de pratiquer son sport avec une totale insouciance. Il frappe dans la balle comme on croque dans la vie et, pour reprendre son expression, se fiche de la rater ; l’essentiel, pour lui, est d’y aller à fond ; du coup, comme par hasard, la balle reste dans le terrain. L’acceptation de la perspective de l’échec, ou de la défaite, est bien souvent le précepte premier de celui qui gagne.

Evidemment, tout ceci est plus facile à dire qu’à faire. L’Espagnol a sans doute cerné son état d’esprit optimal, celui qui lui permet d’être dans les meilleures dispositions mentales sur le court. Cet état d’esprit optimal est propre à chacun : certains, comme Roger Federer en son temps ou Novak Djokovic encore aujourd’hui, aiment à se positionner comme le patron sur le court ; d’autres, comme Rafael Nadal, ont toujours préféré se mettre dans la peau d’un challenger. C’est vraiment une question de psychologie interne, et c’est d’ailleurs tout à fait transposable aux joueurs amateurs.

Il est possible et même probable que Caroline Garcia soit le genre à être plus forte quand elle n’est pas attendue. Ou, comme Rafa, quand elle réfute l’étiquette de favorite. Pour retrouver le coup de raquette fluide et léger qui était le sien de juin à novembre 2022, peut-être faudrait-il qu’elle reprogramme son fonctionnement intérieur et réajuste la vision qu’elle a – ou que les autres ont pour elle – de son statut. L’idée serait de ne plus la percevoir comme l’une des toutes meilleures joueuses du monde qu’elle est certes au classement, mais plutôt comme une joueuse ultra-talentueuse capable d’aller battre n’importe qui et semer la zizanie au sommet.

Elle qui a toujours été proche de la philosophie du tennis espagnol, de par ses origines et de par son temps passé à l’académie Rafa Nadal à Manacor, pourrait d’ailleurs s’approprier cette autre maxime dispensée par Carlos Alcaraz : l’important, au tennis, c’est avant tout d’en profiter à fond, faire de chaque match une tranche de vie à vivre intensément et non pas plombé par des éléments parasites, qu’ils soient endogènes ou exogènes.

Si “Caro” y va à fond, du reste, il n’y a aucune raison de ne pas la voir revenir jouer les premiers rôles au sommet. Mais plus que jamais, l’heure est venue pour elle de se concentrer sur le chemin, sans se soucier de la destination.

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